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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/177

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DELPHINE.

lorsque Delphine, reprenant ses forces, s’avança vers moi, et tenant ma lettre dans l’une de ses mains, elle leva l’autre vers le ciel. Jamais je ne l’avais vue si ravissante, je crus un moment que moi seul j’étais coupable ; il me semblait que j’entendais les anges qu’elle invoquait à son secours parler pour elle et m’accuser. Je tombai à genoux devant le ciel, devant elle, devant la beauté ; je ne sais ce que j’adorais, mais je n’étais plus à moi. « Parlez, m’écriai-je, parlez ; prosterné devant vous, je vous demande de vous justifier. — Non, me dit-elle en mettant sa main sur son cœur, ma réponse est là, celui qui put m’offenser n’a pas mérité de l’entendre. » Elle s’éloigna de moi ; je la conjurai de s’arrêter, mais en vain ; je vis de loin madame de Vernon qui venait rapidement vers nous avec madame de Lebensei ; je fis un dernier effort pour obtenir un mot, il fut inutile, et mon cœur irrité reprit l’indignation que le regard de Delphine avait comme suspendue. Je voulus paraître calme en présence des étrangers, et ne pas rendre Delphine témoin de mon abattement. Je parlai vite, je rassemblai au hasard tout ce que je pouvais dire à madame de Lebensei et à madame de Vernon ; et quand je crus en avoir assez fait pour avoir l’air d’être tranquille, je regardai Delphine, d’abord avec assurance. Elle n’avait point essayé, comme moi, de cacher son émotion ; elle s’appuyait sur la fille de madame d’Ervins, marchait avec peine, ne répondait à rien, et cherchait seulement avec ses regards la route qui conduisait hors du parc. Dès que je vis sa tristesse, je me tus, et je la suivis en silence ; madame de Vernon et madame de Lebensei tâchaient en vain de soutenir la conversation. Au moment où nous approchâmes de la porte, les yeux de madame d’Albémar tombèrent sur moi ; si je n’avais vu que ce regard, il me semble que ma situation ne serait point amère, mais elle a refusé de se justifier… Insensé que je suis ! que pouvait-elle me dire ? désavouera-t-elle son choix ? ne m’a-t-elle pas trompé ? peut-elle anéantir le passé ? Mais pourquoi donc voulais-je la voir, et pourquoi ne puis-je jamais oublier cette expression de douleur qui s’est peinte dans tous ses traits ? Est-ce encore un art perfide ? mais de l’art avec ce visage, avec cet accent ! Feignait-elle aussi l’état où je l’ai vue, lorsqu’elle ne pouvait m’apercevoir ? Sa voiture, en s’en allant, passait devant une des allées du parc ; j’ai fait quelques pas derrière les arbres pour la suivre encore des yeux ; la fille de madame d’Ervins avait jeté ses bras autour d’elle, et Delphine la tenait serrée contre son cœur avec un abandon si tendre, une expression si touchante ! Il m’a semblé que sa poitrine se soulevait par des