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DEUXIÈME PARTIE.

sanglots. Une femme dissimulée pourrait-elle presser ainsi un enfant contre son sein ? Cet âge si vrai, si pur, serait-il associé déjà par elle aux artifices de la fausseté ? Non, elle a été émue en me revoyant ; non, ce sentiment n’était point un mensonge ; mais elle est liée avec M. de Serbellane, elle n’aurait pu me le nier : je devais m’y attendre ; je ne la chercherai plus. Avant de l’avoir rencontrée, j’espérais toujours que si je la revoyais, cet instant changerait mon sort. Je l’ai revue, et c’en est fait : je n’en suis que plus malheureux. Que venais-je faire chez madame de Lebensei ? Pourquoi madame d’Albémar y était-elle ? C’est une maison qui me déplaît sous tous les rapports. M. de Lebensei était absent, je ne le regrettai point. M. de Lebensei n’a-t-il pas entraîné la femme qu’il aimait dans une démarche qui l’expose au blâme universel ? Je suis sûr qu’elle n’est point heureuse, quoiqu’elle ait eu soin de répéter plusieurs fois qu’elle l’était : son inquiétude secrète, son calme apparent, ce mélange de timidité et de fierté qui rend ses manières incertaines, tout en elle est une preuve indubitable qu’on ne peut braver l’opinion sans en souffrir cruellement. Mais moi qui la respecte, mais moi qui n’ai rien fait que l’on puisse me reprocher, en suis-je plus heureux ? Mon ami, il n’est pas d’homme sur la terre aussi misérable.

Pourquoi, tout en m’écrivant avec intérêt, avec affection, ne me dites-vous rien sur le sujet de mes peines ? Craignez-vous de me montrer que vous aimez encore, madame d’Albémar ? J’y consens, je suis peut-être même assez faible pour le désirer ; mais, de grâce, parlez-moi d’elle, et ne m’abandonnez pas seul au tourment de mes pensées.

LETTRE XII. — MADEMOISELLE D’ALBÉMAR À DELPHINE.
Montpellier, 25 août.

Pour la première fois, ma chère amie, je désapprouve entièrement les sentiments que vous m’exprimez. Quoi ! Léonce en se refusant à vous voir, écrit formellement qu’il a cessé de vous estimer, et dans le moment où cette conduite révoltante ne devrait vous inspirer que de l’indignation, votre lettre à moi[1] n’est remplie que du regret de ne lui avoir pas parlé, de n’avoir

  1. Cette lettre, ainsi que quelques autres dont il est parlé, ne se trouve pas dans le recueil.