Aller au contenu

Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
207
DEUXIÈME PARTIE.

pouvez-vous pas lui dire au moins que je pars pour le Languedoc, d’où je ne sortirai jamais ? Est-ce trop demander, et ne défais-je pas ainsi, faiblesse après faiblesse, l’action que je nommais généreuse ?

Je vous laisse l’arbitre de ce que vous pouvez dire ; vous comprenez ce que je souffre, ce que je souffrirai toujours, tant qu’il me croira coupable. Si le ciel vous inspire un moyen de me secourir sans porter atteinte au bonheur des autres, vous le saisirez, j’ose en être sûre ; s’il faut me sacrifier, je vous en donne le pouvoir, je saurai vous en estimer. Je dépose entre vos mains la promesse de m’éloigner, de ne point écrire, de ne rien me permettre enfin pour moi-même, que de vous demander quelquefois si vous avez affaibli dans le cœur de Léonce la juste haine qu’il va de nouveau ressentir contre moi.

LETTRE XXXVI. — MADAME D’ARTENAS À DELPHINE.
Paris, 10 novembre.

J’ai passé hier chez vous, ma chère Delphine, mais en vain ; votre porte est toujours fermée. Je suis obligée de partir pour ma terre, près de Fontainebleau ; mais je ne veux pas différer à vous demander de m’apprendre les causes d’un événement qui occupe toute la société de Paris. Vous êtes brouillée avec madame de Vernon, vous ne vous voyez plus ; je crois bien aisément qu’elle a tort, et que vous avez raison ; mais pourquoi vous brouiller avec elle ? pourquoi vous brouiller avec personne ? Cela peut avoir les plus grands inconvénients.

Vous avez découvert qu’elle vous trompait : il y a longtemps que je m’en serais doutée à votre place ; mais c’est précisément parce qu’elle a un caractère adroit et dissimulé, qu’il était sage de la ménager : votre, conduite a été le contraire de ce qu’elle devait être ; il fallait ne pas l’aimer avec tant d’aveuglement avant la découverte, et ne pas rompre depuis avec tant de véhémence. Madame de Vernon est établie à Paris depuis beaucoup plus longtemps que vous ; elle y a beaucoup plus de relations ; et vous savez qu’on est toujours ici soutenu par ses parents, non parce qu’ils vous aiment, mais parce qu’ils regardent comme un devoir de vous justifier. Il y a si peu de véritable amitié dans le grand monde, qu’encore vaut-il mieux compter sur ceux qui se croient obligés à vous dé-