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DELPHINE.

phine, je ne consentirai point à ce que vous me demandez : ce qui a souillé ma vie, c’est la dissimulation ; je ne veux pas que le dernier acte de mon existence participe à ce caractère. J’ai toujours blâmé les cérémonies des catholiques auprès des mourants ; elles ont quelque chose de sombre et de terrible qui ne s’allie point avec l’idée que je me fais de la bonté de l’Être suprême. J’ai surtout une invincible répugnance pour ouvrir mon âme à un prêtre, peut-être même à toute autre personne qu’à vous ; je sens qu’il me serait impossible de parler avec confiance à un homme que je ne connais point, ni de recevoir aucune consolation de cette voix, jusqu’alors étrangère à mon cœur. Je crois que si l’on me contraignait à voir un prêtre, je ne lui dirais pas une seule de mes pensées ni de mes actions secrètes ; j’aurais l’air de me confesser, et je ne me confesserais sûrement pas ; je me donnerais ainsi la fausse apparence de la foi que je n’aurais point. J’ai trop usé de la feinte ; c’en est assez, je ne veux point interrompre la jouissance, hélas ! trop nouvelle, que la sincérité me fait goûter depuis que mon âme s’y est livrée. Ce n’est pas assurément que je repousse les idées religieuses ; mon cœur les embrasse avec joie, et c’est en vous que j’espère, ma chère Delphine, pour me soutenir dans cette disposition : mais si je mêlais à ce que j’éprouve réellement des démonstrations forcées, je tarirais la source de l’émotion salutaire que vous avez fait naître en moi. Madame de Lebensei voulant me veiller cette nuit, ma fille choisira ce temps pour se reposer ; restez avec moi, chère Delphine, consacrez ces moments, qui sont peut-être les derniers, à remplir mon âme de toutes les idées qui peuvent à la fois la fortifier et l’attendrir ; mais ayez la bonté d’annoncer à ma fille mes refus, ils sont irrévocables. » Je connaissais le caractère positif de madame de Vernon ; mon insistance eût été inutile ; je lui promis donc ce qu’elle désirait. « Suivez, ma chère Sophie, lui dis-je, suivez les impulsions de votre cœur ; quand elles sont pures, elles élèvent toutes vers un Dieu qui se manifeste à nous par chacun des bons mouvements de notre âme.

— Je me suis occupée, ajouta madame de Vernon, de tous les intérêts qui pouvaient dépendre de moi ; j’ai assuré autant qu’il m’était possible vos créances sur mon héritage ; j’ai réglé avec le plus grand soin les intérêts de ma fille ; enfin, et ce devoir était le plus impérieux de tous, j’ai écrit à Léonce une lettre qui contient, dans les plus grands détails, l’histoire malheureuse des torts que j’ai eus envers vous deux. Cette lettre lui apprendra aussi les services que vous m’avez rendus : je lui