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DEUXIÈME PARTIE.

à ses premières idées, ne la tourmentât pendant que je n’y serais pas.

Quoique je sois vivement occupée de l’état de madame de Vernon, je ne puis repousser une idée qui me revient sans cesse. Il y a sept jours aujourd’hui que Léonce attendait ma justification, et qu’il ne l’a pas reçue. Dans huit jours, il apprendra tout par la lettre de madame de Vernon ; quelle impression recevra-t-il alors ? quel sentiment éprouvera-t-il pour moi ? Ah ! je ne le saurai pas, je ne dois pas le savoir. Adieu, ma sœur ; hélas ! mon voyage ne sera pas longtemps retardé, et la pauvre Sophie aura cessé de vivre avant même que M. de Mondoville ait pu répondre à sa lettre.

LETTRE XLIII. — MADAME DE LEBENSEI À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Paris, ce 2 novembre.

Quelle scène cruelle, mademoiselle, je suis chargée de vous raconter ! Madame d’Albémar est dans son lit, avec une fièvre ardente, et j’ai moi-même à peine la force de remplir les devoirs que m’impose mon amitié pour vous et pour elle. Vous avez daigné, m’a-t-elle dit, vous souvenir de moi avec intérêt, et c’est peut-être à vous que je dois la bienveillance de cette créature parfaite : comment pourrais-je jamais reconnaître un tel service ? quelle âme, quel caractère ! et se peut-il que les plus funestes circonstances privent à jamais une telle femme de tout espoir de bonheur ?

Madame de Vernon n’est plus ; hier, à onze heures du matin, elle expira dans les bras de Delphine : une fatalité malheureuse a rendu ses derniers moments terribles. Je vais mettre, si je le peux, de la suite dans le récit de ces douze heures, dont je ne perdrai jamais le souvenir ; pardonnez-moi mon trouble, si je ne parviens pas à le surmonter.

Avant-hier, à minuit, madame d’Albémar redescendit dans la chambre de madame de Vernon ; elle la trouva sur une chaise longue, son oppression ne lui avait pas permis de rester dans son lit. L’effrayante pâleur de son visage aurait fait douter de sa vie, si de temps en temps ses yeux ne s’étaient ranimés en regardant Delphine. Delphine chercha dans quelques moralistes anciens et modernes, religieux et philosophes, ce qui était le plus propre à soutenir l’âme défaillante devant la terreur de la