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DELPHINE.

mort. La chambre était faiblement éclairée ; madame d’Albémar se plaça à côté d’une lampe dont la lumière voilée répandait sur son visage quelque chose de mystérieux ; elle s’animait en lisant ces écrits, dans lesquels les âmes sensibles et les génies élevés ont déposé leurs pensées généreuses. Vous connaissez son enthousiasme pour tout ce qui est grand et noble : cette disposition habituelle était augmentée par le désir de faire une impression profonde sur le cœur de madame de Vernon ; sa voix si touchante avait quelque chose de solennel ; souvent elle élevait vers l’Être suprême des regards dignes de l’implorer ; sa main prenait le ciel à témoin de la vérité de ses paroles, et toute son attitude avait une grâce et une majesté inexprimables.

Je ne sais où Delphine trouvait ce qu’elle lisait, ce qui peut-être lui était inspiré ; mais jamais on n’environna la mort d’images et d’idées plus calmes, jamais on n’a su mieux réveiller au fond du cœur ces impressions sensibles et religieuses qui font passer doucement des dernières lueurs de la vie aux pâles lueurs du tombeau.

Tout à coup, à quelque distance de la maison de madame de Vernon, une fenêtre s’ouvrit, et nous entendîmes une musique brillante dont le son parvenait jusqu’à nous : dans le silence de la nuit, à cette heure, ce devait être une fête qui durait encore. Madame de Vernon, maîtresse d’elle-même jusqu’alors, fondit en larmes à cette idée ; la même émotion nous saisit, Delphine et moi ; mais elle se remit la première, et prenant la main de madame de Vernon avec tendresse :« Oui, lui dit-elle, ma chère amie, à quelques pas de nous il y a des plaisirs, ici de la douleur ; mais avant peu d’années, ceux qui se réjouissent pleureront, et l’âme réconciliée avec son Dieu comme avec elle-même, dans ces temps-là, ne souffrira plus. » Madame de Vernon parut calmée par les paroles de Delphine, et presque au même instant tous les instruments cessèrent.

Quel tableau cependant que celui dont j’étais témoin ! Un rapprochement singulièrement remarquable en augmentait encore l’impression : je venais d’apprendre, par madame de Vernon elle-même, qu’elle avait les plus grands torts à se reprocher envers madame d’Albémar ; et je réfléchissais sur l’enchaînement des circonstances qui donnait à madame de Vernon, si accueillie, si recherchée dans le monde, pour unique appui, pour seule amie, la femme qu’elle avait le plus cruellement offensée.

Quand madame de Vernon voulait parler à Delphine de son