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DELPHINE.

thilde, avec d’autant plus de véhémence qu’il lui en coûtait peut-être davantage, dit à madame de Vernon : « Ma mère, si vous ne voulez pas me faire mourir de douleur, ne vous refusez pas aux secours qui peuvent seuls vous sauver des peines éternelles ; je vous en conjure au nom de Dieu et de Jésus-Christ ! » En achevant ces mots, elle se jeta à genoux devant sa mère. «Insensée ! s’écria Delphine, pensez-vous servir l’Être souverainement bon, en causant à votre mère l’émotion la plus douloureuse ? — Vous perdez ma mère, s’écria Mathilde avec indignation, vous, Delphine, par vos ménagements pusillanimes, vos incertitudes et vos doutes ; et vous, madame, dit-elle en se retournant vers moi, par l’intérêt que vous avez à écarter la religion qui vous condamne. » J’entendis ces paroles sans aucune espèce de colère, tant la situation de madame de Vernon et l’anxiété de Delphine m’occupaient ; je remarquai seulement dans le visage de madame de Vernon une expression très-vive, et bientôt après elle prit la parole avec une force extraordinaire dans son état.

« Ma fille, dit-elle à Mathilde, je pardonne à votre zèle inconsidéré ; je dois tout vous pardonner, car j’ai eu le tort de ne point vous élever moi-même ; je n’ai point éclairé votre esprit, et les rapports intimes de la confiance n’ont point existé entre nous ; j’ai soigné vos intérêts, mais je n’ai point cultivé vos sentiments, et j’en reçois la punition, puisque dans cet instant même la mort ne saurait rapprocher nos cœurs : la mère et la fille ne peuvent s’entendre au moins une fois, en se disant un dernier adieu. Mais vous, monsieur, continua-t-elle en s’adressant au prêtre, qui jusqu’alors s’était tenu dans le fond de la chambre, les yeux baissés, l’air grave, et ne prononçant pas un seul mot ; mais vous, monsieur, pourquoi vous servez-vous de votre ascendant sur une tête faible, pour l’exposer à un grand malheur, celui d’affliger une mère mourante ? J’ai beaucoup de respect pour la religion ; mon cœur est rempli d’amour pour un Dieu bienfaisant, et sa bonté me pénètre de l’espoir d’une autre vie : mais ce serait mal me présenter au juge de toute vérité, que de trahir ma pensée par des témoignages extérieurs qui ne sont point d’accord avec mes opinions. J’aime mieux me confesser à Dieu dans mon cœur, qu’à vous, monsieur, que je ne connais point, ou qu’à tout autre prêtre avec lequel je n’aurais point contracté des liens d’amitié ou de confiance ; je suis plus sûre de la sincérité de mes regrets que de la franchise de mes aveux ; nul homme ne peut m’apprendre si Dieu m’a pardonné, la voix de ma conscience m’en instruira