toutes les deux dévotes, ne veuillent pas reconnaître son enfant. Elle m’a dit, sans vouloir s’expliquer davantage, qu’elle avait un service à me demander auprès de ses parents, qui sont un peu les miens ; je serais trop heureuse de le lui rendre. Je voudrais lui faire quelque bien. Elle est souvent honteuse de ses peines, et mécontente de sa sensibilité, dont les jouissances ne lui font pas oublier tout le reste ; elle craint que son mari ne s’aperçoive de ses chagrins, et reprend un air gai chaque fois qu’il la regarde. Madame de Belmont, avec un mari aveugle et ruiné, jouit d’une félicité bien plus pure ; elle ne vit pas plus dans le monde que madame de Lebensei, mais elle n’a pas l’idée qu’elle en soit écartée ; elle choisit la solitude, et la pauvre Élise y est condamnée : je la plains parce qu’elle souffre, car à sa place, je serais parfaitement heureuse ; elle se croit et a raison de se croire innocente ; elle a épousé ce qu’elle aime ; et l’opinion la tourmente ! quelle faiblesse !
Adieu, ma sœur, ne m’abandonnez pas ; reprenons l’habitude de nous écrire chaque jour tout ce que nous éprouvons ; je ne me crois pas un sentiment dont votre cœur indulgent et tendre ne puisse accepter la confidence.
Le neveu de madame du Marset est menacé de perdre son régiment, pour avoir montré, dit-on, une opinion contraire à la révolution. M. de Lebensei a beaucoup de crédit auprès des députés démocrates de l’Assemblée constituante ; madame du Marset est venue me demander de vous engager à le prier de sauver son neveu. Si M. d’Orsan perdait son régiment, il manquerait un mariage riche qui, dans son état de fortune, lui est indispensablement nécessaire. Je sais quelle a été la conduite de madame du Marset envers vous, envers moi ; mais je trouve plaisir à vous donner l’occasion d’une vengeance qui satisfait assez bien la fierté : car ce n’est point par bonté pure qu’on rend service à ceux dont on a raison de se plaindre ; on jouit de ce qu’ils s’humilient en vous sollicitant, et l’on est bien aise de se donner le droit de dédaigner ceux qui avaient excité notre ressentiment. Cette raison, d’ailleurs, n’est pas la seule qui me fasse désirer que vous soyez utile à madame du Marset.
Vous savez, quoique nous en parlions rarement ensemble, combien les querelles politiques s’aigrissent à présent ; on a dit assez souvent, et madame du Marset a singulièrement con-