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QUATRIÈME PARTIE


LETTRE I. — LÉONCE À M. BARTON
Paris, ce 10 juin.

On vous a écrit que j’avais la tête perdue, on a dit vrai : la vie de Delphine est en danger ; je suis dans une chambre près de la sienne, je l’entends gémir ; c’est moi, criminel que je suis, c’est moi qui l’ai jetée dans cet état : pensez-vous que, pour être calme, il suffise de la résolution de se tuer si elle meurt ? Il y a des tourments inouïs tant que le sort est en suspens ! Hier elle m’a regardé avec une douceur céleste, elle a reposé sa tête sur moi comme si elle voulait recevoir quelque bien de moi, de ce furieux, l’unique cause… Non, elle ne mourra point ; depuis quelques heures, ses plaintes sont moins déchirantes.

Elle n’a cessé, dans son délire, de rappeler une horrible scène dans une église… La nuit dernière surtout, madame de Lebensei et moi nous veillions auprès de son lit ; tout à coup elle a soulevé sa tête, ses cheveux sont tombés sur ses épaules ; son visage était d’une pâleur mortelle, cependant il avait je ne sais quel charme que je ne lui connaissais point encore ; son regard pénétrait le cœur et me faisait éprouver un sentiment de pitié si douloureux, que j’aurais voulu mourir à l’instant pour en abréger la souffrance. « Léonce, me disait-elle, Léonce, je t’en conjure, n’exige pas de moi, dans le lieu le plus saint, le serment le plus impie ; ne me fais pas jurer mon déshonneur, ne me menace pas de ta mort, laisse-moi partir ! rends-moi la promesse que je t’ai faite de rester, rends-la-moi ! »

Elle m’appelait, et cependant elle ne me connaissait pas ; ses yeux me cherchaient dans la chambre et ne pouvaient parvenir à me distinguer. Je m’écriai, en me jetant à genoux devant son lit, que je la dégageais de tout, qu’elle était libre de me