m’entends mal à déterminer les limites de l’empire entre la morale et l’amour, la destinée ne m’a point appris à le connaître ; mais il me semble qu’après le mariage de Léonce, il fallait vous séparer de lui, mais que vous ne devez pas maintenant briser son cœur, en l’immolant tout à coup à des vertus intempestives.
Je ne sais si le charme de Léonce a exercé sur moi trop de puissance ; je le confesse, s’il existe une gloire pour les femmes hors de la route de la morale, cette gloire est sans doute d’être aimée d’un tel homme : ses qualités éminentes ne sont point un motif pour lui sacrifier vos principes, mais vous lui devez de chercher à les concilier avec son bonheur ; un caractère si remarquable impose des devoirs à tous ceux qui peuvent influer sur son sort. En vous parlant ainsi, croyez bien que je me suis imposé celui de ne pas vous quitter ; malgré mon éloignement pour Paris, je resterai jusqu’à ce que vous puissiez vous en aller avec moi sans exposer les jours de Léonce. Vous voulez m’arranger un appartement chez vous, je l’accepte : M. de Mondoville se soumet à ne vous voir qu’avec moi ; il proteste qu’après ce qu’il a craint, il sera heureux de votre seule présence, de votre entretien, de ce charme que vous savez répandre autour de vous, et dont je sens si bien la douce influence. Delphine, essayez ce nouveau genre de vie, il calmera par degrés la violence des sentiments de Léonce, et vous pourrez goûter un jour peut-être ensemble les pures jouissances de l’amitié.
Ce que je crois certain, au moins selon les lumières de ma raison, c’est qu’il serait mal de faire succéder tant de rigueur à tant de faiblesse, et de cesser tout à coup de voir Léonce, après six mois passés presque seule avec lui. Souffrez que je vous le dise, mon amie, la parfaite vertu préserve toujours de l’incertitude ; mais quand on s’est permis quelques fautes, les devoirs se compliquent, les relations ne sont plus aussi simples, et il ne faut pas imaginer de tout expier par un sacrifice inconsidéré, qui déchirerait le cœur dont vous avez accepté l’amour. Si vous vous sépariez de Léonce avant d’avoir, s’il est possible, affaibli la douleur que cette idée lui cause, vous ne feriez qu’une action barbare autant qu’inconséquente, et vous le livreriez à un désespoir dont la cause serait la passion même que vous avez excitée.
En me permettant de prononcer un avis que l’austère vertu condamnerait peut-être, j’ai réfléchi sur moi-même. Il se peut que, n’ayant jamais été l’objet d’aucun sentiment d’amour, je