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DELPHINE.

reux ? Les affaires publiques dont votre mari s’occupe lui donnent plus de rapport que vous avec la société ; découvrez par lui, je vous en conjure, tout ce qui me concerne, tout ce que Léonce ne manquera pas de savoir dès qu’il retournera dans le monde. Je ne puis interroger que vous sur un sujet si délicat ; on craint de montrer aux autres de l’inquiétude sur ce qu’on dit de nous, car il est bien peu de personnes qui ne tirent de ce genre de confidence une raison d’être moins bien pour celle qui la leur fait.

Mandez-moi donc ce que vous saurez, et pardonnez-moi cette lettre que votre parfaite amitié peut seule autoriser.

LETTRE VIII. — DELPHINE À MADAME DE LEBENSEI.
Paris, ce 18 juillet.

Votre réponse, ma chère Élise, ne m’a point entièrement rassurée ; j’ai bien vu que votre intention était de me calmer, mais la vérité de votre caractère ne vous l’a pas permis ; et vous savez, j’en suis sûre, ce que je n’ai que trop remarqué dans le monde depuis que j’ai essayé d’y retourner. Certainement ma position n’y est pas entièrement la même ; je n’y suis pas mal encore, mais je ne me sens plus établie dans l’opinion d’une manière aussi sûre ni aussi brillante qu’auparavant. Hier, par exemple, j’ai été chez madame d’Artenas ; comme ma belle-sœur a une répugnance invincible pour se montrer, je ne la priai pas de m’accompagner. En arrivant, je vis quelques voitures des femmes de ma connaissance qui me suivaient, et, presque sans y réfléchir, je restai sur l’escalier assez de temps pour entrer avec elles : autrefois il me plaisait assez d’arriver seule ; une inquiétude vague m’empêchait hier de le désirer. On me témoigna presque le même empressement qu’à l’ordinaire ; j’étais loin cependant de goûter dans cette société un plaisir égal à celui que j’y trouvais autrefois.

Je mettais de l’importance à tout ; les politesses de madame d’Artenas me semblaient plus marquées, comme si elle avait cru nécessaire de me rassurer, et d’indiquer aux autres la conduite que l’on devait tenir envers moi ; la froideur de quelques femmes, dont je ne me serais pas occupée dans un autre temps, cette froideur, qui peut-être était causée par des circonstances étrangères à celles qui m’occupaient, m’inquiétait tellement, que je ne pouvais plus me livrer, comme je le faisais jadis si