Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/409

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pai donc ; oui, grand Dieu ! c’est la première fois que la dissimulation a souillé mon cœur. Léonce parut !… Quelle impression sa présence produisit sur tout ce qui était dans la chambre ! Ma bonne sœur détourna la tête pour lui cacher ses pleurs ; M. de Valorbe se hâta de recomposer son visage ; et moi, qui ne savais pas si je venais de sauver ce que j’aime, ou seulement de me rendre indigne de lui, je pouvais à peine me soutenir. M. de Mondoville, voulant abréger cette scène, après avoir salué ma sœur et moi avec cette grâce et cette noblesse que les indifférents même ne peuvent voir sans être charmés, pria M. de Valorbe de le conduire dans son appartement : ils sortirent alors tous les deux, mes tourments redoublèrent ; je n’avais pas revu Léonce depuis le matin, j’ignorais ce que la journée avait pu apporter de changements dans ses dispositions. Le silence dont je m’étais, hélas ! trop adroitement servie, avait-il suffi pour désarmer M. de Valorbe ? ou ne s’était-il pas dit que, dans un tel moment, il ne devait y attacher aucune importance ? Loin donc que ma douleur fût soulagée, elle était devenue plus amère encore par l’espérance que j’avais entrevue et que le temps n’avait pu confirmer.

Ce jour, déjà si cruel, fut encore marqué par un hasard bien malheureux : madame du Marset vint à ma porte demander mademoiselle d’Albémar ; et mes gens, qui n’avaient point reçu l’ordre de ma belle-sœur, la laissèrent entrer. Elle arriva dans le salon même où j’étais avec mademoiselle d’Albémar ; elle venait lui faire une visite, et s’acquitter d’un de ces devoirs communs de la société, dont la froideur et l’insipidité font un si cruel contraste avec les passions violentes de l’âme. Représentez-vous, chère, Élise, ce que je dus éprouver pendant une demi-heure qu’elle resta chez ma sœur ! Je ne pouvais m’en aller, parce que, de la chambre où nous étions, j’entendais au moins la voix de Léonce et de M. de Valorbe : je m’assurais ainsi qu’ils étaient encore là, et je tâchais de deviner, à leur accent plus ou moins élevé, s’ils s’apaisaient ou s’irritaient de nouveau ; mais je ne crois pas qu’il soit possible de se faire l’idée de l’horrible gêne que m’imposait la présence de madame du Marset ! voulant lui cacher mon trouble, et le trahissant encore plus ; répondant à ses questions sans les entendre, et par des mots qui n’avaient sans doute aucun rapport avec ce qu’elle me disait : car elle marquait à chaque instant son étonnement, et prolongeait, je crois, sa visite, par des intentions malignes et curieuses. Je ne sais combien de temps