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DELPHINE.

était un ange de paix entre nous deux. M. de Valorbe m’a tendu la main après un moment de silence, et je me suis permis alors de lui exprimer franchement et vivement tous les regrets que j’éprouvais de mon impardonnable vivacité. Nous sommes sortis alors pour vous rejoindre ; depuis ce moment je n’ai pensé qu’à vous secourir, et j’ai laissé M. de Lebensei avec M. de Valorbe. »

Comme Léonce nommait votre mari, il ouvrit ma porte, et me dit avec une vivacité qui ne lui est pas ordinaire : « Tout est prêt pour le voyage de M. de Valorbe, il demande à vous voir un moment ; il convient de ne pas l’obliger à rendre M. de Mondoville témoin de sa douleur en vous quittant, et rien n’est plus pressé que son départ ! » Léonce n’hésita point à se retirer, et M. de Lebensei, sans perdre un moment, fit entrer M. de Valorbe. Je fus touchée en le voyant, il était impossible d’avoir l’air plus malheureux ; il s’approcha de mon lit, me prit la main, et, se mettant à genoux devant moi, il me dit à voix basse : « Je pars, je ne sais ce que je vais devenir, peut-être suis-je menacé des événements les plus malheureux ; que mon honneur me reste, et je les supporterai tous ! Souvenez-vous, cependant, que c’est à vous seule que j’ai fait le sacrifice de la résolution la plus juste et la plus nécessaire ; songez, reprit-il en appuyant singulièrement sur chacune de ses expressions, songez à ce que vous ferez pour moi si mon sort est perdu pour vous avoir obéi, pour m’être fié à vous. » Je rougis en écoutant ces paroles, qui me rappelaient un tort véritable. M. de Valorbe voulait rester encore ; mais M. de Lebensei était si impatient de son départ, qu’il interrompit d’autorité notre entretien. M. de Valorbe se jeta sur ma main en la baignant de pleurs, et votre mari l’emmena.

Dès que la voiture de M. de Valorbe fut partie, M. de Lebensei remonta, et je lui demandai d’où lui venait une agitatation que je ne lui avais jamais vue. « Hélas ! me dit-il, je viens d’apprendre, comme j’arrivais chez vous, que M. de Fierville a été témoin de la scène d’hier au soir ; il était sorti à pied, peu de moments après Léonce, de la maison où ils avaient soupé ensemble ; il s’est glissé derrière les voitures pour n’être pas reconnu, et il a raconté aujourd’hui, dans un dîner, tout ce qu’il avait entendu ; je craignais donc extrêmement que M. de Valorbe ne le sût avant de partir, et que, changeant de dessein, il ne restât, malgré tout ce qui pouvait lui en arriver. — Ah ! mon Dieu ! m’écriai-je, et M. de Valorbe ne sera-t-il pas déshonoré pour ne s’être pas battu avec Léonce ? » M. de