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QUATRIÈME PARTIE.

Lebensei chercha à dissiper cette crainte, en m’assurant que l’on parviendrait à détruire l’effet des propos de M. de Fierville ; mais, tout en me calmant sur ce sujet, il paraissait troublé par une pensée qu’il n’a pas voulu me confier.

Je suis restée, lorsqu’il m’a quittée, dans un trouble cruel. Certainement je ne me repens pas d’avoir tout fait pour empêcher que M. de Valorbe ne se battit avec Léonce : je suis loin de me croire liée par un silence que doit excuser la violence de ma situation ; ma sœur, qui a été témoin de tout, m’assure que M. de Valorbe lui-même n’a pas dû se persuader que je pusse prendre avec lui, dans l’état où j’étais, le moindre engagement : si M. de Valorbe était malheureux, je ferais pour lui certainement tout ce qui serait en ma puissance ; c’est en vain, cependant, que je me raisonne ainsi depuis plusieurs heures ; ma joie est empoisonnée par cet instant de fausseté. Rien ne me ferait consentir à l’avouer à Léonce, et cependant c’est pour lui… Il faut donc que ce soit mal… Je suis sûre que les plus cruelles peines me viendront de là. Les fautes que le caractère fait commettre sont tellement d’accord avec la manière de sentir habituelle, qu’on finit toujours par se les pardonner ; mais quand on se trouve entraînée, forcée même à un tort tout à fait en opposition avec sa nature, c’est un souvenir importun, douloureux, et qu’on veut en vain écarter. Ne m’en parlez jamais ; je parviendrai peut-être à l’oublier.

Remerciez votre Henri, quand vous le verrez, de la parfaite amitié qu’il m’a témoignée. Votre enfant est-il encore malade ? ne pouvez-vous pas le quitter ? J’irai vous voir dès que je serai mieux ; mais ce que j’ai souffert m’a redonné la fièvre ; on veut que je me ménage encore quelque temps.

LETTRE XII. — MADEMOISELLE D’ALBÉMAR À MADAME DE LEBENSEI.
Paris, ce 25 août.

J’ai besoin, madame, de vous confier mes chagrins, de vous demander vos conseils. M. de Lebensei vous a-t-il dit comment l’indigne M. de Fierville, et son amie plus odieuse encore, ont trouvé l’art d’empoisonner l’aventure de M. de Valorbe ? Ils ont répandu dans le monde que Delphine, notre angélique Delphine, avait donné rendez-vous à deux hommes la même nuit, et qu’un malentendu sur les heures avait été la cause de la