Ce n’est pas tout encore : comme cet empire de la souffrance répugne à l’homme, il y échappe de mille manières. De là vient que la religion catholique, si elle a quelques martyrs, fait un si grand nombre d’incrédules : on s’avouait athée ouvertement en France avant la Révolution. Spinosa est Italien ; presque tous les systèmes du matérialisme ont pris naissance dans les pays catholiques ; tandis qu’en Angleterre, en Amérique, dans tous les pays protestants enfin, personne ne professe cette opinion malheureuse : l’athéisme, n’ayant dans ces pays aucune superstition à combattre, ne paraîtrait que le destructeur des plus douces espérances de la vie.
Les stoïciens, comme les catholiques, croyaient que le malheur rend l’homme plus vertueux ; mais leur système, purement philosophique, était infiniment moins dangereux. Chaque homme, se l’appliquant à lui seul, l’interprétait à sa manière ; il n’était point uni à ces superstitions religieuses qui n’ont ni borne ni but. Il ne donnait point à un corps de prêtres un ascendant incalculable sur l’espèce humaine ; car l’imagination répugnant aux souffrances, elle est d’autant plus subjuguée quand une fois elle s’y résout, qu’il lui en a coûté d’avantage ; et l’on a bien plus de pouvoir sur les hommes que l’on a déterminés à s’imposer eux-mêmes de cruelles peines, que sur ceux qu’on a laissés dans leur bon sens naturel, en ne leur parlant que raison et bonheur.
L’un des bienfaits de la morale évangélique était d’adoucir les principes rigoureux du stoïcisme ; le christianisme inspire surtout la bienfaisance et l’humanité ; et, par de singulières interprétations, il se trouve qu’on en a fait un stoïcisme nouveau, qui soumet la pensée à la volonté des prêtres, tandis que l’ancien rendait indépendant de tous les hommes ; un stoïcisme qui fait votre cœur humble, tandis que l’autre le rendait fier ; un stoïcisme qui vous détache des intérêts publics, tandis que l’autre vous dévouait à votre patrie ; un stoïcisme enfin qui se sert de la douleur pour enchaîner l’âme et la pensée, tandis que l’autre du moins la consacrait à fortifier l’esprit en affranchissant la raison.
Si ces réflexions, que je pourrais étendre beaucoup plus, si votre esprit, madame, ne savait pas y suppléer ; si ces réflexions, dis-je, vous ont convaincue que celui qui veut conduire les hommes à la vertu par la souffrance méconnaît la bonté divine et marche contre ses voies, vous serez d’accord avec moi dans toutes les conséquences que je veux en tirer. Retracez-vous tous les devoirs que la vertu nous prescrit ;