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QUATRIÈME PARTIE.

lis malgré lui dans son cœur, je vois qu’il souffre de cette peine, d’autant plus amère qu’il craindrait m’humilier en me l’avouant : voilà donc la plus douce de nos jouissances, la parfaite confiance déjà altérée ! nous ne nous cachons rien, mais réciproquement nous sentons que notre peine est moins douloureuse en ne nous en parlant pas.

Je crains aussi de lui laisser apercevoir que mon cœur n’est pas en tout parfaitement satisfait de lui ; je ne veux pas me prévaloir de ses torts pour l’affliger. Ah ! ce n’est pas moi qui le punirai de ses défauts ; hélas ! les événements ne s’en chargeront peut-être que trop ! Il désire, et, quoi qu’il m’en coûte, j’y souscris, que je recommence à sortir, à revoir mes anciennes relations ; il croit que j’effacerai, si je le veux, la trace des calomnies qu’on a répandues sur moi ; et je ne puis me dissimuler que son bonheur est attaché à mes succès à cet égard : je le ferai donc ; mais quel effort pénible ! Lorsque je suis entrée dans le monde, je croyais voir un ami dans tout homme qui se plaisait à causer avec moi ; j’éprouve à présent un sentiment bien contraire ; je n’ose m’adresser à personne, parler à personne ; une fierté timide m’empêche de rien essayer pour sortir de ma situation, et cependant elle me cause une douleur très-vive : je pense sans cesse avec amertume à ce qu’on a dit de moi, surtout à ce que Léonce a entendu ! Les ennemis auraient-ils le courage de vous poursuivre, s’ils savaient qu’ils peuvent empoisonner jusqu’à l’affection même qui vous restait pour vous consoler de leur haine !

La haine ! juste ciel ! comment l’ai-je méritée, ma chère Élise ? à qui ai-je fait du mal ? à qui n’ai-je pas fait tout le bien qui était en ma puissance ? Et d’où naissent-elles donc ces fureurs cachées qui n’attendaient que le moment de la disgrâce pour éclater ? est-ce à la jalousie qu’il faut les attribuer ? Ah ! quelques agréments, dont je n’ai connu le prix que pour chercher à plaire et pour être aimée, donnent-ils assez de bonheur pour exciter tant d’envie ? et il faudra que je brave ces mauvais sentiments dont il m’eût été si doux de m’éloigner ! deux ans d’absence auraient produit naturellement ce que je n’obtiendrai qu’au prix de mille souffrances ; enfin il le veut, ou plutôt je sais quel prix il met à me revoir au rang que j’occupais dans l’opinion.

Parviendrai-jamais à dompter la malveillance ? elle me glace à l’instant où je l’aperçois ; je n’ai plus ni les armes de mon esprit ni celles de mon caractère devant les méchants. Ce n’est point par faiblesse, vous savez si je manque de courage quand