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QUATRIÈME PARTIE.

jours, comme vous le savez ; mais ce que vous ignorez, c’est qu’à son arrivée on n’a pas manqué de l’informer des bruits calomnieux qui s’étaient répandus ; elle m’en a parlé, et je lui ai dit que ce qu’il y avait de vrai dans cette histoire, c’était une action généreuse de vous, l’asile que vous aviez accordé à M. de Valorbe au moment où il était poursuivi. Je dois à Mathilde la justice qu’il est impossible d’avoir mieux accueilli tout ce que mon indignation me suggérait sur l’infâme conduite de M. de Fierville et de madame du Marset ; et si quelque chose pouvait me faire une sorte de peine, c’était de voir à quel point il m’était facile de la persuader ? J’ai senti dans cette occasion combien une morale, même exagérée, était un grand avantage dans les relations intimes de la vie.

Le soir même de la conversation que j’avais eue avec Mathilde, elle se trouva dans une société assez nombreuse où je n’étais pas, et, pendant mon absence, on osa vous attaquer assez vivement. Madame de Mondoville, je le sais d’un de mes amis qui s’y trouvait, vous défendit avec une telle force, une telle hauteur, qu’elle sut en imposer à tout le monde ; et sa manière de s’exprimer et l’autorité de sa réputation ont produit un tel effet, que mon ami et quelques autres témoins de cette scène sont tout à fait persuadés qu’elle a été la cause d’un changement décisif en votre faveur.

Je ne puis vous dire, ma Delphine, combien je suis touché de la conduite de madame de Mondoville dans cette circonstance ! son bonheur m’est devenu plus cher, plus sacré par cette action que par tous les liens qui nous unissaient. Elle doit aller chez vous ce soir, je ne veux point m’y trouver en même temps qu’elle ; je me priverai donc de vous tout le jour : mais qu’il m’est doux de penser que le danger dont vous me menaciez sans cesse n’existe plus ; que toutes les inquiétudes sont à jamais écartées de l’esprit de Mathilde, et que rien désormais, ô mon amie ! ne peut plus me séparer de toi !

LETTRE XXV. — DELPHINE À LÉONCE.

Léonce ! Léonce ! comment vous dire ce qui vient de m’arriver ? Qu’allez-vous penser ? quelle peine ressentirez-vous ? obtiendrai-je mon pardon ? serez-vous capable de me haïr, quand je me désespère d’avoir accompli ce qui peut être était mon devoir, ce que du moins il était impossible de ne pas faire, dans la circonstance où je me suis trouvée ? Votre femme sait