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DELPHINE.

mon sentiment pour vous ; et par qui l’a-t-elle appris ? Ô ciel ! par moi ! Le mot affreux est dit : maintenant écoutez-moi, ne rejetez pas ma lettre avec indignation, suivez dans mon récit les impressions qui m’ont agitée ; et si votre cœur se sépare un instant du mien, s’il éprouve un sentiment qui diffère de ceux qui m’ont émue, alors condamnez-moi.

Madame de Mondoville est venue me voir il y a deux heures : j’étais seule ; elle m’a montré beaucoup plus d’intérêt qu’il n’est dans son caractère d’en témoigner. J’évitais, autant qu’il était possible, une conversation plus intime, et je l’ai ramenée dix fois sur des sujets généraux ; je respirais lorsqu’elle renonçait aux expressions directes d’estime et d’amitié : enfin, par une insistance qui ne lui est pas naturelle, et qui tenait certainement à un vif sentiment de justice, et surtout de bonté, elle rompit tous mes détours et me dit : « Ma chère cousine, j’ai appris combien on avait été injuste envers vous ; j’en ai éprouvé une véritable colère, et je vous ai défendue avec cette chaleur de conviction qui doit persuader. » Je baissai la tête sans rien dire ; elle continua : « Quelle infamie de faire tourner contre vous le service que vous avez rendu à M. de Valorbe ! et quelle absurdité en même temps de mêler mon mari dans cette histoire ! Vous qui avez fait notre mariage par votre généreuse conduite relativement à la terre d’Andelys, vous que ma mère avait consultée sur cette union longtemps avant que je connusse M. de Mondoville, n’êtes-vous pas liée à mon sort par ce que vous avez fait pour moi ? Votre amitié pour ma mère, quoiqu’elle ait été troublée un moment, a certainement conservé assez de droits sur vous pour que le bonheur de sa fille vous soit cher. — Sans doute, essayai-je de lui répondre, je souhaite votre bonheur, j’y sacrifierais… » Elle m’interrompit en disant : « Vous n’avez pas besoin de me l’affirmer, ma cousine : si j’ai été froide quelquefois pour vous dans un autre temps, si la différence de nos opinions nous a quelquefois éloignées, l’une de l’autre, permettez que je le répare dans ce moment où vous avez des peines : disposez de moi, et je m’applaudirai de l’ascendant que moi et mes amies nous pouvons avoir sur tout ce qui tient à la réputation d’une femme, puisque cet ascendant vous sera utile. J’animerai en votre faveur ce que vous appelez les dévotes, c’est-à-dire des personnes assez pures et assez heureuses pour que, devant elles, la malignité soit toujours forcée de se taire. — Oh ! vous êtes trop bonne, beaucoup trop bonne, m’écriai-je très-attendrie : mais, je vous en conjure, ne faites plus rien pour moi, absolument