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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/494

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CINQUIÈME PARTIE.

Enfin il se soumet à ses devoirs ; le temps adoucira ses regrets, sans m’effacer entièrement de son souvenir ; Mathilde est heureuse : ces pensées doivent être douces ; une fois peut-être elles me rendront le repos, si M. de Valorbe ne s’acharne point à me le ravir. L’inquiétude la plus vive qui me reste, c’est que Léonce ne cède au désir de se mêler de la guerre, si elle est déclarée ; mais comme il ne quittera sûrement pas sa femme pendant sa grossesse, ne peut-on pas espérer que d’ici à quelques mois il arrivera des événements qui détourneront les malheurs dont la France est menacée ?

Je veux m’établir dans un lieu moins habité que celui-ci, où le cruel amour de M. de Valorbe ne puisse pas me découvrir : il faut se résigner, les convulsions de la douleur doivent cesser ; je ne serai jamais heureuse, jamais ! — Eh bien, quand cette certitude est une fois envisagée, pourquoi ne donnerait-elle pas du calme ?

Hier au soir, cependant, j’ai été bien faible encore ; j’avais été moi-même à la poste pour chercher votre lettre que j’attendais déjà le courrier précédent : on me la remit ; je m’approchai, pour la lire, d’un réverbère qui est sur la place : mon émotion fut telle, que je fus prête à perdre connaissance ; je m’appuyai contre la muraille pour me soutenir ; et quand mes forces revinrent, je vis quelques personnes qui s’étaient arrêtées pour me regarder. Si j’étais tombée morte à leurs pieds, qui d’entre elles en eût été troublée ? qui m’aurait regrettée ? qui se serait donné la peine d’examiner pendant quelques instants si j’avais en effet perdu la vie ? Ah ! que l’intérêt des autres est nécessaire, et que leur haine est redoutable ! Où les fuir, où les retrouver ? Comment supporter leur malveillance ? comment renoncer à leurs secours ? Que le monde fait de mal ! que la solitude est pesante ! que l’existence morale enfin est difficile à traîner jusqu’à son terme !

Je revins chez moi ! Isaure jouait de la harpe. Jusqu’à ce jour je l’avais priée de ne pas faire de la musique devant moi ; mon âme n’était pas en état de la supporter, elle rappelle trop vivement tous les souvenirs ; mais votre lettre, ma sœur, me permit d’y trouver quelque charme : j’écoutai mon Isaure, je lui donnai des leçons avec soin ; et quand elle fut couchée, je me mis à jouer moi-même ; je me livrai pendant plus de la moitié de la nuit à toutes les impressions que la musique m’inspirait ; je m’exaltais dans mes propres pensées, je suffisais à mon enthousiasme. Cependant je m’arrêtai, comme fatiguée de cet état dont il n’est pas permis à notre âme de jouir trop