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DELPHINE.

grand désir de me fixer dans sa maison, sans que rien en elle m’ait fortement attirée, si ce n’est les traits de son visage et les accents de sa voix qui rappellent Léonce.

Elle a consenti à ce que je désirais ; elle m’a promis le secret sur mon véritable nom, et m’a accueillie très-poliment, quoique avec un mélange de hauteur qui rappelait ce qu’on m’a dit du caractère de sa sœur ; elle m’a paru avoir de l’esprit, mais celui d’une femme qui a été très-jolie, et dont les manières se composent de la confiance qu’elle avait autrefois dans sa figure, et de l’humeur qu’elle a maintenant de l’avoir perdue. Rien en elle ne peut expliquer pourquoi elle s’est faite religieuse, et quand elle cause, elle a l’air de l’oublier tout à fait ; on m’a dit cependant qu’elle était très sévère pour la manière de vivre des pensionnaires qu’elle admettait chez elle, et que toute sa communauté avait en général un grand esprit de rigueur. Quoi qu’il en soit, je veux m’établir dans ce couvent : que m’importe plus ou moins d’exigence ! je n’ai rien à faire qu’à me dérober, s’il est possible, aux sentiments douloureux qui me poursuivent. Madame de Ternan obtiendra de moi ce qu’elle voudra ; elle ne se doute pas de l’empire qu’elle a sur ma volonté ; j’irais au bout du monde pour la voir habituellement.

J’apprendrai, en vivant avec elle, tous les mots qu’elle prononce comme Léonce, toutes les impressions qui fortifient les traces de sa ressemblance avec lui, et je chercherai à faire reparaître plus souvent ces traces chéries. Ô Léonce ! me voilà un intérêt dans la vie : j’aimerai cette femme, quels que soient ses défauts ; je la soignerai, pour qu’elle écrive une fois à votre mère que j’étais digne de vous. Je ne serai pas tout à fait séparée de ce que j’aime : un rapport, quelque indirect qu’il soit, me restera encore avec lui ; et quand, dans quelques années, je pourrai lui faire connaître ma retraite, lui raconter les jours que j’y ai passés, il sera touché des sentiments qui m’auront tout entière occupée.

Ma sœur, votre dernière lettre m’a profondément attendrie ; ne vous affligez pas tant de ma situation : elle vaut mieux depuis que j’ai choisi une retraite, depuis que j’ai pu, loin de Léonce, retrouver encore quelques liens avec lui.