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CINQUIÈME PARTIE.

LETTRE V. — DELPHINE À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Zurich, ce 28 décembre.

Je crois avoir trouvé enfin l’asile qui me convient. À six lieues de Zurich, sur une rivière qui se jette dans le Rhin, il y a un couvent de chanoinesses religieuses, appelé l’abbaye du Paradis, où l’on reçoit des femmes comme pensionnaires. Leur conduite est soumise à l’inspection de l’abbesse ; elles ne peuvent sortir sans son consentement, quoiqu’elles ne fassent point de vœux[1]. La manière de vivre dans ce couvent est régulière sans être pénible ; il y a moins de sévérité dans les statuts de cette maison que dans la plupart de celles du même genre ; mais on est difficile sur le choix des personnes qui peuvent y être admises, et c’est une retraite très-honorable pour les femmes qui y sont reçues. Je dois y aller demain matin, et je vous manderai si je puis m’y établir.

J’éprouve une impatience singulière de trouver enfin une demeure fixe, une existence uniforme ; chaque objet nouveau réveille en moi le même souvenir et la même douleur.

Ce 29.

Louise, l’auriez-vous prévu ? l’abbesse de ce couvent, c’est madame de Ternan, la sœur de madame de Mondoville, la tante de Léonce ; elle s’appelle Léontine, c’est d’elle qu’il tient son nom ; elle lui ressemble, quoiqu’elle ait cinquante ans. Il y a eu des moments, pendant notre longue conversation, où ces rapports de figure et de voix m’ont frappée jusqu’au point d’en tressaillir ; elle a, dans sa manière de parler, cet accent un peu espagnol qui donne, vous le savez, tant de grâce et de noblesse au langage de Léonce ; je ne pouvais me résoudre à m’éloigner d’elle ; j’essayais mille sujets différents, dans l’espoir d’en découvrir un qui pût animer assez madame de Ternan pour donner à ses mouvements plus de jeunesse, plus de ressemblance avec ceux de Léonce. Je n’ai point cherché à connaître le caractère de madame de Ternan ; ses gestes, ses regards m’occupaient uniquement. Je lui ai témoigné le plus

  1. Ces sortes de pensionnaires s’appellent des données.