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DELPHINE.

elle m’a promis qu’il n’y serait pas, et j’ai consenti à ce qu’elle désirait ; cependant, avant de lui donner ma parole, j’ai été demander à madame de Ternan la permission de m’absenter pour un jour. « Je n’aime pas beaucoup m’a-t elle dit que mes pensionnaires sortent, et il est établi qu’elles ne passeront jamais une nuit hors du couvent ; mais, comme vous pouvez facilement être revenue avant cinq heures du soir, je ne m’y oppose pas. Je vous prie seulement de ne pas renouveler ces visites, qui sont d’un mauvais exemple pour les autres dames, à qui je les interdis. » Cette réponse me déplut assez ; je trouvai madame de Ternan trop exigente, et je ne retirai point la demande que j’avais faite.

Vous m’écrivez, ma chère sœur, que le décret qui saisit les biens des émigrés va être porté, et que sûrement alors M. de Valorbe ne persistera pas à refuser les offres que je lui ai déjà faites : ah ! combien il me soulagera s’il les accepte ! je sentirai moins douloureusement les reproches que je me fais d’avoir été la cause de ses peines, pour prix de la reconnaissance que je lui dois. Mon excellente amie, votre délicatesse et votre bonté viennent sans cesse à mon secours.

LETTRE XVI. — DELPHINE À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Ce 6 mars.

Je suis encore émue du spectacle dont j’ai été témoin hier ; je me suis livrée aux sentiments que j’éprouvais, sans réfléchir aux projets que pouvait avoir madame de Cerlebe en me rendant témoin d’une scène si attendrissante ; seulement, quand je l’ai quittée elle m’a dit que sa première lettre m’apprendrait quel avait été son dessein.

C’est une chose touchante que les cérémonies des protestants ! Ils ne s’aident, pour vous émouvoir, que de la religion du cœur ; ils la consacrent par les souvenirs imposants d’une antiquité respectable ; ils parlent à l’imagination, sans laquelle nos pensées n’acquerraient aucune grandeur, sans laquelle nos sentiments ne s’étendraient point au delà de nous-mêmes ; mais l’imagination qu’ils veulent captiver, loin de lutter avec la raison, emprunte d’elle une nouvelle force. Les terreurs absurdes, les croyances bizarres, tout ce qui rétrécit l’esprit enfin, ne saurait développer aucune autre faculté morale ; les erreurs en tout genre resserrent l’empire de l’imagination au lieu de