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CINQUIÈME PARTIE.

présence de vous-même, écoutant votre désir, cherchant à le bien connaître, le voyant sans cesse varier, et trouvant autant de peine à servir vos propres goûts que les volontés d’un maître étranger. Dans la route du devoir, l’incertitude n’existe plus, la satiété n’est point à redouter ; car, dans le sentiment de la vertu, il y a jeunesse éternelle : quelquefois on regrette encore d’autres biens : mais le cœur, content de lui-même, peut se rappeler sans amertume les plus belles espérances de la vie ; s’il pense au bonheur qu’il ne peut goûter, c’est avec un sentiment dont la douceur lui tient lieu de ce qu’il a perdu.

Quelles jouissances ne trouve-t-on pas dans l’éducation de ses enfants ! Ce n’est pas seulement les espérances qu’elle renferme qui vous rendent heureux, ce sont les plaisirs mêmes que la société de ces cœurs si jeunes fait éprouver ; leur ignorance des peines de la vie vous gagne par degrés ; vous vous laissez entraîner dans leur monde, et vous les aimez, non-seulement pour ce qu’ils promettent, mais pour ce qu’ils sont déjà ; leur imagination vive, leurs inépuisables goûts rafraîchissent la pensée ; et si le temps que vous avez d’avance sur eux ne vous permet pas de partager tous leurs plaisirs, vous vous reposez du moins sur le spectacle de leur bonheur : l’âme d’un enfant doucement soutenue, doucement conduite par l’amitié, conserve longtemps l’empreinte divine dans toute sa pureté ; ces caractères innocents, qui s’étonnent du mal et se confient dans la pitié, vous attendrissent profondément, et renouvellent dans votre cœur les sentiments bons et purs que les hommes et la vie avaient troublés. Pouvez-vous, madame, pouvez-vous renoncer pour toujours à ces émotions délicieuses ?

M. de Valorbe est un homme estimable, spirituel, digne de vous entendre. Nos destinées, sous ce rapport, seront au moins pareilles. Je l’avoue, il est un bonheur dont je jouis, et qui n’a été donné à personne sur la terre ; c’est à lui peut-être que je dois mon retour aux résolutions que je vous conseille ; il faut donc vous faire connaître ce sentiment dans tout ce qu’il peut avoir de doux et de cruel.

Vous avez entendu parler de l’esprit et des rares talents de mon père, mais on ne vous a jamais peint l’incroyable réunion de raison parfaite et de sensibilité profonde qui fait de lui le plus sûr guide et le plus aimable des amis. Vous a-t-on dit que maintenant l’unique but de ses étonnantes facultés est d’exercer la bonté, dans ses détails comme dans son ensemble ? Il écarte de ma pensée tout ce qui la tourmente ; il a étudié le cœur humain pour mieux le soigner dans ses peines, et n’a