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DELPHINE.

jamais trouvé dans sa supériorité qu’un motif pour s’offenser plus tard et pardonner plus tôt ; s’il a de l’amour-propre, c’est celui des êtres d’une autre nature que la nôtre, qui seraient d’autant plus indulgents qu’ils connaîtraient mieux toutes les inconséquences et toutes les faiblesses des hommes.

La vieillesse est rarement aimable, parce que c’est l’époque de la vie où il n’est plus possible de cacher aucun défaut ; toutes les ressources pour faire illusion ont disparu ; il ne reste que la réalité des sentiments et des vertus. La plupart des caractères font naufrage avant d’arriver à la fin de la vie ; et l’on ne voit souvent dans les hommes âgés que des âmes avilies et troublées, habitant encore, comme des fantômes menaçants, des corps à demi ruinés ; mais quand une noble vie a préparé la vieillesse, ce n’est plus la décadence qu’elle rappelle, ce sont les premiers jours de l’immortalité.

L’homme que le temps n’a point abattu en a reçu des présents que lui seul peut faire, une sagacité presque infaillible, une indulgence inépuisable, une sensibilité désintéressée. La tendresse que vous inspire un tel père est la plus profonde de toutes ; l’affection qu’il a pour vous est d’une nature tout à fait divine. Il réunit sur vous seul tous les genres de sentiments ; il vous protège comme si vous étiez un enfant ; vous lui plaisez comme si vous étiez toujours jeune ; il se confie à vous comme si vous aviez atteint l’âge de la maturité.

Une incertitude presque habituelle, une réserve fière, se mêlent à l’amour que vous inspirent vos enfants. Ils s’élancent vers tant de plaisirs qui doivent les séparer de vous, ils sont appelés à tant de vie après votre mort, qu’une timidité délicate vous commande de ne pas trop vous livrer, en leur présence, à vos sentiments pour eux. Vous voulez attendre au lieu de prévenir, et conserver envers cette jeunesse resplendissante la dignité que l’on doit garder avec les puissants, alors même qu’on a pour eux la plus sincère amitié. Mais il n’en est pas ainsi de la tendresse filiale, elle peut s’exprimer sans crainte ; elle est si sûre de l’impression qu’elle produit !

Je ne suis pas personnelle, je crois que ma vie l’a prouvé ; mais si vous saviez comme il m’est doux de me sentir environnée de l’intérêt de mon père ! de ne jamais souffrir sans qu’il s’en occupe, de ne courir aucun danger sans me dire qu’il faut que je vive pour lui, moi qui suis le terme de son avenir ! L’on nous assure souvent qu’on nous aime ; mais peut-être est-il vrai que l’on n’est nécessaire qu’à son père. Les espérances de la vie sont prêtes à consoler tous nos con-