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CINQUIÈME PARTIE.

nition de cette lettre que vous êtes ici, c’est pour l’expier que je vous ai fait tomber en ma puissance ; vous n’en sortirez plus. »

Représentez-vous l’effroi de Delphine à ces mots, dont elle ne pouvait encore comprendre le sens. Elle s’élance précipitamment vers la porte ; M. de Valorbe se saisit de la clef, la tourne deux fois, en mordant ses lèvres avec une expression de rage, et dans le même instant il va vers la fenêtre, l’ouvre, et jette cette clef dans le jardin qui environnait la maison. Delphine poussa des cris perçants ; et, perdant la tête de douleur, elle appelait à son secours de toutes les forces qui lui restaient.

« Vous essayez en vain, lui dit M. de Valorbe en s’approchant d’elle avec toutes les fureurs de la haine et de l’amour, vous essayez en vain de me faire passer pour un assassin : tout est prévu, personne ne vous répondra ; il n’y a dans la maison qu’un homme fidèle qui, me voyant souffrir chaque jour tous les maux de l’enfer à cause de vous, ne sera pas sensible à vos douleurs ; il a été témoin des miennes ! Vous souffrez à présent, je le vois, mais il ne me reste plus de pitié pour personne : pourquoi serais-je le plus infortuné des hommes ? pourquoi Léonce, l’orgueilleux, le superbe Léonce, jouirait-il de tous les biens de la vie, de votre cœur, de vos regrets ? tandis que moi je suis seul, seul en présence de la mort, que je hais d’autant plus que je me sens poussé vers elle. Delphine, je n’étais pas né méchant, je suis devenu féroce. Savez-vous combien les hommes aigrissent la douleur ? ils m’ont abandonné, trahi ; pas un cœur ne s’est ouvert à moi. Les livres m’avaient appris qu’au milieu des ingrats, des perfides, l’infortuné trouvait du moins un ami obscur qui venait au secours de son cœur : eh bien, cet unique ami, je ne l’ai pas même rencontré ! tous se sont réunis pour me faire du mal : je rendrai ce mal à quelqu’un. Pauvre créature ! dit-il alors en regardant Delphine avec pitié, c’est injuste de te persécuter, car tu es bonne ; mais je t’aime avec idolâtrie, tu es là devant moi, toi qui es le bonheur, l’oubli de toutes les peines, la magie de la destinée ; et la mort est ici, dit-il en montrant ses pistolets armés sur la table. Il faut donc que tu sois à moi, il le faut.

— Monsieur de Valorbe, reprit Delphine avec plus de calme, et retrouvant dans le désespoir même le courage et la dignité, quand je vous estimais, j’ai refusé de m’unir à vous ; quel espoir pouvez-vous former maintenant ? — Vous me méprisez donc ? s’écria-t-il avec un sourire amer ; votre situation ne sera pas dans le monde bien différente de la mienne : vous n’avez