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DELPHINE.

une si vive terreur de perdre un moment, que ses paroles se précipitaient et qu’on pouvait à peine les distinguer. « Mon cher monsieur de Valorbe, lui disait-elle en serrant ses deux mains, sans penser à son amour pour elle, et sans qu’il osât lui-même le témoigner ; mon cher monsieur de Valorbe, il y a quelques minutes encore, il y en a entre moi et la honte ; je ne suis pas encore déshonorée, je puis encore retrouver un asile, laissez-moi l’aller chercher ; si je reste encore, il faudra que je couche cette nuit sur la pierre, et qu’au jour je n’ose plus lever les yeux sur personne. Voyez, je suis encore une femme que ses amis peuvent avouer, dont les peines excitent encore l’intérêt et la pitié ; mais dans une heure, solitaire avec ma conscience, les hommes ne me croiront pas ; celui que j’aime, enfin vous le savez, je l’aime, il ne reconnaîtra plus ma voix, et rougira des regrets qu’il donnait à ma perte. Ô monsieur de Valorbe, que ne prenez-vous cette arme pour me tuer ! je vous pardonnerais ; mais m’ôter son estime, mais l’avoir prévu, mais le vouloir, ô Dieu ! l’heure se passe ; vous le voyez, encore quelques minutes, encore… » Et elle se laissa tomber à ses pieds, en répétant ce mot : encore ! encore ! de ses dernières forces.

M. de Valorbe me l’a juré, et j’ai besoin de le croire, il se sentit vaincu dans ce moment ; et, s’il garda le silence, ce fut pour jeter un dernier regard sur cette figure enchanteresse qu’il perdait pour jamais, et qu’il voyait à ses pieds dans un état d’émotion qui la rendait encore plus ravissante. Mais on entendit un bruit extraordinaire dans la maison ; on frappa d’abord avec violence à la porte, et, des coups redoublés la faisant céder, des soldats entrèrent dans la chambre, un officier à leur tête. Delphine, sans s’informer du motif de leur arrivée, voulut sortir à l’instant ; on la retint, et bientôt on lui fit savoir que c’était elle qui était suspecte : on la croyait un émissaire des Français en Allemagne, et on venait la chercher pour la conduire au commandant de la place.

M. de Valorbe, en apprenant cet ordre, se livra à toute sa fureur ; il ne pouvait supporter le mal que d’autres que lui faisaient à Delphine, et, sans le vouloir, il aggrava sa situation par la violence de ses discours. Delphine, quand elle entendit sonner l’heure qui ne lui permettait plus d’arriver à temps à son couvent, redevint calme tout à coup, et se laissa conduire chez le commandant : on ne permit pas à M. de Valorbe de la suivre.

Le commandant autrichien prouva facilement à Delphine, en l’interrogeant, qu’elle n’avait pas dit son vrai nom ; car ce-