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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/55

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DELPHINE.

toute romanesque ; mais que nous importe ? elle n’en est que plus aimable ; les gens calmes aiment assez à rencontrer ces caractères exaltés, qui leur offrent toujours quelque prise. Remettez-vous-en donc à moi, mon cher Clarimin ; laissez-moi terminer le mariage qui m’occupe, et qui m’est nécessaire pour satisfaire à vos justes prétentions ; et voyez dans cette lettre, la plus longue, je crois, que j’aie écrite de ma vie, mon désir de vous ôter toute crainte, et la confiance d’une ancienne et bien fidèle amitié.

LETTRE X. — DELPHINE À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Paris, ce 3 mai.

J’ai passé hier, chez madame de Vernon, une soirée qui a singulièrement excité ma curiosité ; je ne sais si vous en recevrez la même impression que moi. L’ambassadeur d’Espagne présenta hier à ma tante un vieux duc espagnol, M. de Mendoce, qui allait remplir une place diplomatique en Allemagne. Comme il venait de Madrid et qu’il était parent de madame de Mondoville, madame de Vernon lui fit des questions très-simples sur Léonce de Mondoville ; il parut d’abord extrêmement embarrassé dans ses réponses. L’ambassadeur d’Espagne s’approchant de lui comme il parlait, il dit à très-haute voix que depuis six semaines il n’avait point vu M. de Mondoville, et qu’il n’était pas retourné chez sa mère. L’affectation qu’il mit à s’exprimer ainsi me donna de l’inquiétude ; et comme madame de Vernon la partageait, je cherchai tous les moyens d’en savoir davantage.

Je me mis à causer avec un Espagnol que j’avais déjà vu une ou deux fois, et que j’avais remarqué comme spirituel, éclairé, mais un peu frondeur. Je lui demandai s’il connaissait le duc de Mendoce. « Fort peu, répondit-il, mais je sais seulement qu’il n’y a point d’homme dans toute la cour d’Espagne aussi pénétré de respect pour le pouvoir. C’est une véritable curiosité que de le voir saluer un ministre : ses épaules se plient, dès qu’il l’aperçoit, avec une promptitude et une activité tout à fait amusantes ; et quand il se relève, il le regarde avec un air si obligeant, si affectueux, je dirais presque si attendri, que je ne doute pas qu’il n’ait vraiment aimé tous ceux qui ont eu du crédit à la cour d’Espagne depuis trente ans. Sa conversation n’est pas moins curieuse que ses démonstrations extérieures. Il commence des phrases pour que le ministre les finisse ; il