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DELPHINE.

Dieu. » Tout à coup elle s’arrêta, comme si une idée l’avait troublée, et demanda son confesseur avec instance ; Léonce crut apercevoir qu’elle était inquiète d’avoir nourri son enfant trop longtemps. Il alla chercher le confesseur, et lui dit : « Monsieur, vous nous avez fait bien du mal ; tâchez de le réparer autant qu’il est en votre puissance. Écartez de Mathilde toute idée de remords. — Je ferai mon devoir, » répondit le confesseur, et il entra chez Mathilde. C’est un homme tout à la fois rempli de fanatisme et d’adresse ; convaincu des opinions qu’il professe, et mettant cependant à convaincre les autres de ces opinions tout l’art qu’un homme perfide pourrait employer ; imperturbable dans les dégoûts qu’il éprouve, et toujours actif pour les succès qu’il peut obtenir ; portant enfin, dans une persévérance que rien ne rebute, cette dignité religieuse qui s’honore des humiliations, et place son orgueil dans les souffrances mêmes et dans l’abaissement.

Il resta plusieurs heures enfermé avec Mathilde, et quand Léonce la revit, elle lui parut calme et ferme et ne cherchant aucune occasion de lui parler seule. Pendant toute la nuit qui précéda sa mort, cette jeune et belle Mathilde supporta courageusement toutes les cérémonies dont les catholiques environnent les mourants. J’étais retiré dans un coin de la chambre, derrière les domestiques qui écoutaient, à genoux, les prières des agonisants ; j’apercevais dans une glace le lit de Mathilde, et je voyais son confesseur approcher souvent la croix de ses lèvres mourantes. J’éprouvais à ce spectacle un tressaillement intérieur que tout l’effort de ma volonté ne pouvait vaincre. A-t -on raison, me disais-je, d’entourer nos derniers moments d’un appareil si sombre, de surpasser en effroi la mort même, et de frapper par tant d’idées terribles l’imagination des infortunés qui expirent ? Le sacrifice même est à peine aussi redoutable que ses préparatifs ! Ne vaut-il pas mieux laisser venir la fin de l’homme comme celle du jour, et faire ressembler, autant qu’il est possible, le sommeil de la mort au sommeil de la vie ? Oui, je le crois, celui qui meurt regretté de ce qu’il aime doit écarter de lui cette pompe funèbre ; l’affection l’accompagne jusqu’à son dernier adieu ; il dépose sa mémoire dans les cœurs qui lui survivent, et les larmes de ses amis sollicitent pour lui la bienveillance du ciel : mais l’être infortuné qui périt seul a peut-être besoin que sa mort ait du moins un caractère solennel ; que des ministres de Dieu chantent autour de lui ces prières touchantes qui expriment la compassion du ciel pour l’homme, et que le plus grand mystère de la nature,