remplissez à ma place, monsieur, les devoirs de l’amitié ; vous avez plus de force et de caractère que moi ; vos conseils leur seront plus utiles que mes larmes ; secourez nos amis, jamais ils ne furent plus malheureux.
Quelle nouvelle vous m’apprenez, juste ciel ! et il est parti ce matin avant que votre lettre me fût arrivée ! je vais le rejoindre ; dans deux heures j’aurai mon passe-port et je serai sur ses traces. J’ignore ce que je lui dirai, ce que je pourrai faire pour lui ; mais enfin il ne sera pas seul. L’infortuné ! quels événements funestes ont précédé le malheur qui va l’accabler ! Avant-hier il reçut la nouvelle qu’une maladie violente l’avait privé de sa mère, et deux heures après son fils est mort dans ses bras ! Au moment où ce pauvre enfant a cessé de vivre, Léonce s’est jeté sur son berceau avec des convulsions qui me faisaient craindre pour lui. « Mon ami, s’est-il écrié, tous mes liens sont brisés, tous, hors un seul ! Mais celui-là, si je le retrouve, je puis vivre ; oui, sur le tombeau de ma famille entière, barbare que je suis, l’amour peut encore me rendre heureux. » Hélas ! et j’entendais ces paroles sans me douter de ce qu’elles avaient d’horrible. Je croyais à l’espérance qu’il invoquait alors à son secours : depuis ce moment, il ne m’a plus prononcé le nom de Delphine.
Le lendemain, il a suivi l’enterrement de son fils jusqu’au cimetière de Bellerive, où il a voulu qu’on l’ensevelit. J’y ai été avec lui ; rien n’est plus touchant que les honneurs rendus au cercueil d’un enfant : cette cérémonie n’a rien de sombre ; il semble qu’on devrait plaindre davantage celui qui perd la vie avant d’avoir goûté ses beaux jours, et cependant j’éprouvais un sentiment tout à fait contraire. Ce qui attriste dans la mort, ce sont les longues douleurs qui l’ont précédée, les espérances trompées, les efforts pénibles qui n’ont pu conduire au but, et n’ont creusé que l’abîme où le temps et la douleur précipitent tous les hommes ; mais j’aime ces mots d’Hervey sur la tombe d’un enfant : « La coupe de la vie lui a paru trop amère, il a détourné la tête. » Heureux enfant ! dispensé de l’épreuve ! pauvre enfant ! que va devenir ton père ? prieras-tu pour lui dans le ciel ? ta mère se réunira-t-elle à toi ? Oh ! quel