Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/577

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
550
DELPHINE.

Depuis ce moment Léonce n’a point quitté son fils, dont l’état est fort dangereux ; et je suis bien sûr qu’il n’a pas l’idée de s’en éloigner dans ce moment. Mais je ne doute pas non plus que, si son enfant était mieux, il ne partît à l’instant pour rejoindre Delphine. Il ne m’a pas encore prononcé son nom ; mais ce matin, comme nous étions ensemble à la fenêtre, au moment où le jour commençait à paraître, il me dit : « Voyez, mon ami ! c’est du côté de la Suisse que le soleil se lève, c’est de là que viennent tous ses rayons ! » Et il se tut, craignant d’exprimer ses pensées secrètes ; mais son visage trahissait des sentiments d’espoir qu’il aurait voulu cacher.

Mandez-moi dans quel lieu demeure Delphine, il faut en instruire Léonce : ah ! maintenant rien ne s’oppose plus à son bonheur ! Que l’infortunée Mathilde le pardonne, mais je bénis le ciel d’avoir enfin réuni pour toujours deux êtres qui s’aimaient, et qui désormais ne seront plus séparés ! Élise et moi, mademoiselle, nous vous offrons nos tendres et respectueux hommages.


LETTRE V. — MADEMOISELLE D’ALBÉMAR À M. DE LEBENSEI.
Montpellier, ce 26 juillet.

Gardez-vous bien, monsieur, de laisser partir Léonce pour la Suisse ; il n’est point de dessein plus funeste. Il faut vous révéler un secret affreux, un secret qui anéantit toutes nos espérances au moment où le sort avait écarté tous les obstacles. Les persécutions de M. de Valorbe, la barbare personnalité d’une femme, un enchaînement de circonstances enfin dont l’ascendant était inévitable, ont précipité madame d’Albémar dans la plus malheureuse des résolutions ; elle est religieuse dans l’abbaye du Paradis, à quatre lieues de Zurich. M. de Valorbe, l’auteur de tous les chagrins de Delphine, est mort désespéré, lorqu’il ne pouvait plus rien réparer. Madame d’Albémar ne se repent que trop, je le crois, des vœux imprudents qui la lient pour jamais ; et cependant elle ignore encore la mort de Mathilde ! Je ne puis penser sans horreur au désespoir que vont éprouver Léonce et Delphine, quand elle apprendra qu’il est libre, quand il saura qu’elle ne l’est plus. On ne peut éviter qu’ils ne connaissent une fois leur sort ; mais il faut les y préparer, si toutefois il est possible qu’ils l’apprennent sans en mourir.

Je suis retenue dans mon lit par un accident assez fâcheux ;