quand il passait, par un mouvement involontaire dont ses amis riaient à la réflexion, mais qui les reprenait à leur insu, comme toutes les impressions naturelles. Il est vrai néanmoins que Léonce de Mondoville porte peut-être jusqu’à l’exagération le respect de l’opinion, et l’on pourrait désirer pour son bonheur qu’il sût s’en affranchir davantage ; mais, dans la circonstance dont M. le duc vient de parler, sa conduite lui a valu l’estime générale, et je pense que tous ceux qui l’aiment doivent en être fiers. »
Le duc ne répliqua point au défenseur de Léonce : il ne lui était point utile de le combattre ; et les hommes qui prennent leur intérêt pour guide de toute leur vie ne mettent aucune chaleur ni aux opinions qu’ils soutiennent, ni à celles qu’on leur dispute : céder et se taire est tellement leur habitude, qu’ils la pratiquent avec leurs égaux pour s’y préparer avec leurs supérieurs.
Il résulta pour moi, de toute cette discussion, une grande curiosité de connaître le caractère de Léonce. Son précepteur et son meilleur ami, celui qui lui a tenu lieu de père depuis dix ans, M. Barton, doit être ici demain ; je croirai ce qu’il me dira de son élève. Mais n’est-ce pas déjà un trait honorable pour un jeune homme, que d’avoir conservé non-seulement de l’estime, mais de l’attachement et de la confiance pour l’homme qui a dû nécessairement contrarier ses défauts et même ses goûts ? Tous les sentiments qui naissent de la reconnaissance ont un caractère religieux, ils élèvent l’âme qui les éprouve. Ah ! combien je désire que madame de Vernon ait fait un bon choix ! Le charme de sa vie intérieure dépendra nécessairement de l’époux de sa fille : Mathilde elle-même ne sera jamais ni très-heureuse, ni très-malheureuse ; il ne peut en être ainsi de madame de Vernon. Espérons que Léonce, si fier, si irritable, si généralement admiré, aura cette bonté sans laquelle il faut redouter une âme forte et un esprit supérieur, bien loin de désirer de s’en rapprocher.
M. Barton est arrivé hier. En entrant dans le salon de madame de Vernon, j’ai deviné tout de suite que c’était lui. L’on jouait et l’on causait : il était seul au coin de la cheminée ; Mathilde, de l’autre côté, ne se permettait pas de lui adresser une