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PREMIÈRE PARTIE.

dédaigna la menace du ministre, chercha toutes les occasions de faire savoir qu’il la bravait, excita son cousin à rompre ouvertement avec la famille de mademoiselle de Sorane, dit à qui voulut l’entendre qu’il n’attendait que la guérison du frère de mademoiselle de Sorane pour se battre avec lui, s’il voulait bien lui donner la préférence sur son cousin. Les deux familles se sont brouillées ; Charles de Mondoville a reçu l’ordre de partir pour les Indes ; mademoiselle de Sorane a été au désespoir, tout à fait perdue de réputation, et, pour comble de malheur enfin, Léonce a tellement déplu au roi, qu’il n’est plus retourné à la cour. Vous comprenez que depuis ce temps je ne l’ai pas revu ; et, comme je suis parti d’Espagne avant que le frère de mademoiselle de Sorane fût guéri, je ne sais pas les suites de cette affaire ; mais je crains bien qu’elles ne soient très-sérieuses, et qu’elles ne fassent beaucoup de tort à Léonce. »

L’Espagnol que j’avais interrogé sur le caractère du duc de Mendoce s’approcha de nous dans ce moment ; et, entendant que l’on parlait de M. de Mondoville, il dit : « Je le connais, et je sais tous les détails de l’événement dont M. le duc vient de vous parler ; permettez-moi d’y joindre quelques observations que je crois nécessaires. Léonce, il est vrai, s’est conduit, dans cette circonstance, avec beaucoup de hauteur ; mais on n’a pu s’empêcher de l’admirer, précisément par les motifs qui aggravent ses torts dans l’opinion de M. le duc. Le crédit de la famille de mademoiselle de Sorane était si grand, les menaces du ministre si publiques, et la conduite de mademoiselle de Sorane avait été si mauvaise, qu’il était impossible qu’on n’accusât pas de faiblesse celui qui l’épouserait. M. de Mondoville aurait peut-être dû laisser son cousin se décider seul : mais il l’a conseillé comme il aurait agi ; il s’est mis en avant autant qu’il lui a été possible pour détourner le danger sur lui-même, et peut-être ne sera-t-il que, trop prouvé dans la suite qu’il y est bien parvenu, Il a donné une partie de sa fortune, à son cousin pour le dédommager d’aller aux Indes ; enfin, sa conduite a montré qu’aucun genre de sacrifice personnel ne lui coûtait quand il s’agissait de préserver de la moindre tache la réputation d’un homme qui portait son nom. Le caractère de M. de Mondoville réunit, au plus haut degré, la fierté, le courage, l’intrépidité, tout ce qui peut enfin inspirer du respect : les jeunes gens de son âge ont, sans qu’il le veuille, et presque malgré lui, une grande déférence pour ses conseils ; il y a dans son âme une force, une énergie qui, tempérées par la bonté, inspirent pour lui la plus haute considération, et j’ai vu plusieurs fois qu’on se rangeait