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DELPHINE.

aurait vu M. de Mondoville et qu’elle aurait su de lui toutes les circonstances qui pouvaient servir à le justifier.

La permission étant présentée au geôlier, il ouvrit la porte de la prison ; et Delphine, en entrant dans ce lieu de douleur, vit son amant qui écrivait avec beaucoup de calme. Le bruit de la porte lui fit lever la tête, et, se jetant à genoux devant elle, il s’écria : « Juste ciel ! quel miracle s’accomplit pour moi ! est-ce mon imagination qui me la représente ? Je l’invoquais, et la voilà ! tous ses traits, tous ses charmes sont-ils devant mes yeux ? Delphine, Delphine, est-ce toi ? » Et, la pressant dans ses bras, il perdit entièrement le souvenir de sa situation ; mais le cœur de Delphine n’était pas soulagé, et les transports de son amant ne lui donnèrent pas même un instant d’illusion.

« Delphine, lui dit encore Léonce en découvrant sa poitrine, vois-tu ce médaillon qui contient tes cheveux ? je n’ai défendu que lui ; ils n’ont pu me l’arracher. Si tu n’étais venue près de moi, c’est à lui seul que j’aurais confié mes adieux. Ah ! Delphine, pourquoi t’ai-je quittée ! — C’est moi qui suis coupable de ton sort, répondit-elle, je le sais ! si je n’avais pas consenti à sortir de mon couvent, si… Mais que fait cette douleur de plus dans l’abîme des douleurs ! Dites-moi seulement ce que je puis dire à vos juges ; j’ignore si j’espère encore, mais je veux leur parler. — Vous n’obtiendrez rien, mon amie, reprit Léonce ; cependant je pourrais consentir à vivre maintenant : il s’est fait un grand changement dans ma manière de voir. Au milieu des malheurs que je viens d’éprouver, et de la destinée qui me menace, je me suis senti comme humilié d’avoir attaché tant de prix au jugement des hommes. La présence de la mort m’a éclairé sur ce qu’il y a de réel dans la vie ; je ne le cache point, j’ai regretté d’avoir sacrifié les jours que tu protégeais ; j’ai connu le prix de l’existence simple et douce que j’aurais goûtée près de toi. S’il en était temps encore, aucun nuage ne troublerait plus notre bonheur : vois donc, ô ma Delphine ! si tu peux me sauver, je l’accepte. — Ô mon Dieu ! » s’écria Delphine ; et les sanglots étouffèrent sa voix.

« Je ne sais, reprit Léonce, ce qu’on peut dire pour ma défense ; cependant il me semble que, dans l’opinion même de ceux qui vont me juger, je ne suis pas coupable. J’étais arrivé à Verdun le matin du jour où l’on m’a fait prisonnier ; je cherchais la mort, il est vrai, mais je ne savais point encore quel moyen je prendrais pour atteindre ce but facile. J’ai suivi sans dessein le jeune Ternan, mon ami d’enfance. Je n’étais pas reçu dans l’armée, mon nom même n’y était point encore connu.