le seuil de la porte, elle se sépara de M. de Serbellane, avec un dernier regard qui lui demandait de faire des vœux pour elle. Elle entra, et trouva le président entouré de quelques secrétaires : elle lui demanda s’il lui serait permis de l’entretenir sans témoins. « Je n’ai de secrets pour personne, répondit-il élevant d’autant plus la voix que Delphine cherchait à la baisser ; il ne faut pas qu’un homme public mette de mystère dans sa conduite. — Hélas ! monsieur, reprit Delphine, sans doute vous n’avez point de secret, mais je puis en avoir un : me refuserez-vous de ne le confier qu’à vous ? — Je vous ai déjà dit, reprit le juge, que je ne veux point éloigner de moi ceux qui m’entourent ; je ne le dois point. » Delphine, se retournant alors vers ceux qui étaient dans la chambre, leur dit avec une noble douceur : « Messieurs, je vous en conjure, éloignez-vous pendant quelques moments ; soyez assez généreux pour me prouver ainsi votre pitié. » La voix et le regard de Delphine exprimaient l’émotion la plus profonde, et produisirent un effet inespéré ; tous ceux qui étaient dans la chambre s’éloignèrent doucement, sans proférer un seul mot.
Quand Delphine se vit seule avec celui qui pouvait absoudre ou condamner son amant, ses lèvres tremblèrent avant de prononcer les paroles qui devaient appeler ou repousser la conviction, donner la vie ou causer la mort. Tout annonçait dans le juge un homme inflexible ; cependant Delphine avait aperçu sur son bureau le portrait d’une femme tenant un enfant dans ses bras ; et ce tableau, lui apprenant qu’il était époux et père, lui avait un moment donné l’espoir de l’attendrir. Elle tâcha d’exposer avec calme le récit des faits qui prouvaient que Léonce n’avait pris aucun grade dans l’armée ennemie, que le danger seul de son ami l’avait forcé à le secourir ; et racontant avec courage et simplicité toutes les circonstances qui avaient engagé Léonce à quitter la Suisse, elle se donna tous les torts, en cherchant à prouver au juge que Léonce n’avait cédé qu’à la douleur qu’il éprouvait, et qu’aucun motif politique, aucune résolution ennemie n’était entrée pour rien dans les circonstances qui l’avaient conduit à Verdun. Le juge s’était d’abord montré inaccessible à la conviction ; et, regardant Léonce comme coupable, il était résolu à le condamner. Le récit déchirant de Delphine le persuada que la conduite de Léonce n’avait pas été telle qu’il se l’imaginait ; mais il sentit l’impossibilité de persuader à ses collègues que Léonce pouvait être absous, quand toutes les apparences l’accusaient. Ne voulant pas prendre sur lui de le faire mettre en liberté sans qu’il eût