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ŒUVRES DE STENDHAL.

les plus aimables, que j’ai le plus aimé ma pauvre maîtresse, solitaire et triste, dans son petit appartement, an fond de la Romagne[1].

J’épiais, sur la pendule superbe du brillant salon où j’étais exilé, l’heure où elle sort à pied, et par la pluie, pour aller voir son amie. C’est en cherchant à l’oublier que j’ai vu que les contrastes sont la source de souvenirs moins vifs, mais bien plus célestes que ceux que l’on va chercher aux lieux où jadis on l’a rencontrée.

Pour que l’absence soit utile, il faut que l’ami guérisseur soit toujours là pour faire faire à l’amant toutes les réflexions possibles sur les événements de son amour, et qu’il tâche de rendre ses réflexions ennuyeuses par leur longueur ou leur peu d’à-propos, ce qui leur donne l’effet de lieux communs : par exemple, être tendre et sentimental après un dîner égayé de bons vins.

S’il est si difficile d’oublier une femme auprès de laquelle on a trouvé le bonheur, c’est qu’il est certains moments que l’imagination ne peut se lasser de représenter et d’embellir.

Je ne dis rien de l’orgueil, remède cruel et souverain, mais qui n’est pas à l’usage des âmes tendres.

Les premières scènes du Roméo de Shakspeare forment un tableau admirable ; il y a loin de l’homme qui se dit tristement : « She hath forsworn to love, » à celui qui s’écrie au comble du bonheur : « Come what sorrow can ! »

  1. Salviati