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DE L’AMOUR.

Nous l’avons répété sans cesse, l’amour d’un homme qui aime bien jouit ou frémit de tout ce qu’il s’imagine, et il n’y a rien dans la nature qui ne lui parle de ce qu’il aime. Or, jouir et frémir fait une occupation fort intéressante, et auprès de laquelle toutes les autres pâlissent.

Un ami qui veut procurer la guérison du malade doit d’abord être toujours du parti de la femme aimée, et tous les amis qui ont plus de zèle que d’esprit ne manquent pas de faire le contraire.

C’est attaquer, avec des forces trop ridiculement inégales, cet ensemble d’illusions charmantes que nous avons appelé autrefois cristallisation[1]

L’ami guérisseur doit avoir devant les yeux que, s’il se présente une absurdité à croire, comme il faut pour l’amant ou la dévorer ou renoncer à tout ce qui l’attache à la vie, il la dévorera, et, avec tout l’esprit possible, niera dans sa maîtresse les vices les plus évidents et les infidélités les plus atroces. C’est ainsi que, dans l’amour-passion, avec un peu de temps, tout se pardonne.

Dans les caractères raisonnables et froids, il faudra, pour que l’amant dévore les vices, qu’il ne les aperçoive qu’après plusieurs mois de passion[2].

Bien loin de chercher grossièrement et ouvertement à distraire l’amant, l’ami guérisseur doit lui parler à satiété, et de son amour et de sa maîtresse, et en même temps faire naître sous ses pas une foule de petits événements. Quand le voyage isole, il n’est pas remède[3], et même rien ne rappelle plus tendrement ce qu’on aime que les contrastes. C’est au milieu des brillants salons de Paris, et auprès des femmes vantées comme

  1. Uniquement pour abréger, et en demandant pardon du mot nouveau.
  2. Madame Dornal et Serigny, Confessions du comte *** de Duclos. Voir la note de la page 50 ; mort du général Abdhallah, à Bologne.
  3. J’ai pleuré presque tous les jours. (Précieuses paroles du 10 juin.)