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DE L’AMOUR.

Cette manière de voir les choses abrège et communique de la froideur à la tête de celui qui juge de l’amour, chose essentielle et fort difficile.

Or, comme en physiologie l’homme ne sait presque rien sur lui-même que par l’anatomie comparée, de même, dans les passions, la vanité et plusieurs autres causes d’illusion font que nous ne pouvons être éclairés sur ce qui se passe dans nous que par les faiblesses que nous avons observées chez les autres. Si par hasard cet essai a un effet utile, ce sera de conduire l’esprit à faire de ces sortes de rapprochements. Pour engager à les faire, je vais essayer d’esquisser quelques traits généraux du caractère de l’amour chez les diverses nations.

Je prie qu’on me pardonne si je reviens souvent à l’Italie : dans l’état actuel des mœurs de l’Europe, c’est le seul pays où croisse en liberté la plante que je décris. En France, la vanité ; en Allemagne, une prétendue philosophie folle à mourir de rire ; en Angleterre, un orgueil timide, souffrant, rancunier, la torturent, l’étouffent, ou lui font prendre une direction baroque[1].

  1. On ne se sera que trop aperçu que ce traité est fait de morceaux écrits à mesure que Lisio Visconti voyait les anecdotes se passer sous ses yeux, dans ses voyages. L’on trouve toutes ces anecdotes contées au long dans le journal de sa vie ; peut-être aurais-je dû les insérer, mais on les eût trouvées peu convenables. Les notes les plus anciennes portent la date de Berlin, 1807, et les dernières sont de quelques jours avant sa mort, juin 1819. Quelques dates ont été altérées exprès pour n’être pas indiscret ; mais à cela se bornent tous mes changements : je ne me suis pas cru autorisé à refondre le style. Ce livre a été écrit en cent lieux divers, puisse-t-il être lu de même.