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ŒUVRES DE STENDHAL.

de cinquante centimes, ou un changement dans le tarif des douanes de la Colombie[1].

Le livre qui suit explique simplement, raisonnablement, mathématiquement, pour ainsi dire, les divers sentiments qui se succèdent les uns aux autres, et dont l’ensemble s’appelle la passion de l’amour.

Imaginez une figure de géométrie assez compliquée, tracée avec du crayon blanc sur une grande ardoise : eh bien ! je vais expliquer cette figure de géométrie ; mais une condition nécessaire, c’est qu’il faut qu’elle existe déjà sur l’ardoise ; je ne puis la tracer moi-même. Cette impossibilité est ce qui rend si difficile de faire sur l’amour un livre qui ne soit pas un roman. Il faut, pour suivre avec intérêt un examen philosophique de ce sentiment, autre chose que de l’esprit chez le lecteur ; il est de toute nécessité qu’il ait vu l’amour. Or où peut-on voir une passion ?

Voilà une cause d’obscurité que je ne pourrai jamais éloigner.

L’amour est comme ce qu’on appelle au ciel la voie lactée, un amas brillant formé par des milliers de petites étoiles, dont chacune est souvent une nébuleuse. Les livres ont noté quatre ou cinq cents des petits sentiments successifs et si difficiles à reconnaître qui composent cette passion, et les plus grossiers, et encore en se trompant souvent et prenant l’accessoire pour le principal. Les meilleurs de ces livres, tels que la Nouvelle Héloïse, les romans de madame Cottin,

  1. On me dit : « Ôtez ce morceau, rien de plus vrai ; mais gare les industriels ; ils vont crier à l’aristocrate. » — En 1817, je n’ai pas craint les procureurs généraux ; pourquoi aurais-je peur des millionnaires en 1826 ? Les vaisseaux fournis au pacha d’Égypte m’ont ouvert les yeux sur leur compte, et je ne crains que ce que j’estime.