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ŒUVRES DE STENDHAL.

l’aimable colonel L. B. allait être présenté à madame Struve de Kœnigsberg ; c’est une femme du premier ordre. Nous nous disions : Farà colpo ? (fera-t-il effet ?) Il s’engage un pari. Je m’approche de madame de Struve, et lui conte que le colonel porte deux jours de suite ses cravates ; le second jour, il fait la lessive du Gascon ; elle pourra remarquer sur sa cravate des plis verticaux. Rien de plus évidemment faux.

Comme j’achevais, on annonce cet homme charmant. Le plus petit fat de Paris eût produit plus d’effet. Remarquez que madame de Struve aimait ; c’est une femme honnête, et il ne pouvait être question de galanterie entre eux.

Jamais deux caractères n’ont été plus faits l’un pour l’autre. On blâmait madame de Struve d’être romanesque, et il n’y avait que la vertu, poussée jusqu’au romanesque, qui pût toucher L. B. Elle l’a fait fusiller très-jeune.

Il a été donné aux femmes de sentir, d’une manière admirable, les nuances d’affection, les variations les plus insensibles du cœur humain, les mouvements les plus légers des amours-propres.

Elles ont à cet égard un organe qui nous manque ; voyez-les soigner un blessé.

Mais peut-être aussi ne voient-elles pas ce qui est esprit, combinaison morale. J’ai vu les femmes les plus distinguées se charmer d’un homme d’esprit qui n’était pas moi, et tout d’un temps, et presque du même mot, admirer les plus grands sots. Je me trouvais attrapé comme un connaisseur qui voit prendre les plus beaux diamants pour des strass, et préférer les strass, s’ils sont plus gros.

J’en concluais qu’il faut tout oser auprès des femmes. Là où le général Lassale a échoué, un capitaine à moustaches et à jurements réussit[1]. Il y a sûrement dans le mérite des hommes tout un côté qui leur échappe.

Pour moi, j’en reviens toujours aux lois physiques. Le fluide

  1. Posen, 1807.