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DE L’AMOUR.

nerveux, chez les hommes, s’use par la cervelle, et chez les femmes par le cœur ; c’est pour cela qu’elles sont plus sensibles. Un grand travail obligé et dans le métier que nous avons fait toute la vie, console, et pour elles rien ne peut les consoler que la distraction.

Appiani, qui ne croit à la vertu qu’à la dernière extrémité, et avec lequel j’allais ce soir à la chasse des idées, en lui exposant celles de ce chapitre, me répond :

« La force d’âme qu’Éponine employait avec un dévouement héroïque à faire vivre son mari dans la caverne sous terre, et à l’empêcher de tomber dans le désespoir, s’ils eussent vécu tranquillement à Rome, elle l’eût employée à lui cacher un amant ; il faut un aliment aux âmes fortes. »


CHAPITRE XXVI.

DE LA PUDEUR


Une femme de Madagascar laisse voir sans y songer ce qu’on cache le plus ici, mais mourrait de honte plutôt que de montrer son bras. Il est clair que les trois quarts de la pudeur sont une chose apprise. C’est peut-être la seule loi, fille de la civilisation, qui ne produise que du bonheur.

On a observé que les oiseaux de proie se cachent pour boire, c’est qu’obligés de plonger la tête dans l’eau, ils sont sans défense en ce moment. Après avoir considéré ce qui se passe à Otaïti[1], je ne vois pas d’autre base naturelle à la pudeur.

  1. Voir les voyages de Bougainville, de Cook, etc. Chez quelques animaux, la femelle semble se refuser au moment où elle se donne. C’est à