Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/154

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Je commence à croire que je n’aurai plus de ces accès de fureur qui te faisaient craindre pour ma raison.

Octave était plus heureux, il eut plus d’esprit. Il s’étonnait de voir dans la société bien des choses qui ne l’avaient jamais frappé auparavant, quoique depuis longtemps elles fussent sous ses yeux. Le monde lui semblait moins haïssable et surtout moins occupé de lui nuire. Il se disait qu’excepté dans la classe des femmes dévotes ou laides, chacun songeait beaucoup plus à soi, et beaucoup moins à nuire au voisin qu’il n’avait cru l’apercevoir autrefois.

Il reconnut qu’une légèreté de tous les moments rend tout esprit de suite impossible ; il s’aperçut enfin que ce monde qu’il avait eu le fol orgueil de croire arrangé d’une manière hostile pour lui, n’était tout simplement que mal arrangé. Mais, disait-il à Armance, tel qu’il est, il est à prendre ou à laisser. Il faut ou tout finir rapidement et sans délai par quelques gouttes d’acide prussique, ou prendre la vie gaiement. En parlant ainsi, Octave cherchait à se convaincre bien plus qu’il n’exprimait une conviction. Son âme était séduite par le bonheur qu’il devait à Armance.

Ses confidences n’étaient pas toujours sans péril pour cette jeune fille. Quand les réflexions d’Octave prenaient une couleur sombre ; quand il était malheureux par la perspective de l’isolement à venir, Armance avait bien de la peine à lui cacher combien elle eût été malheureuse de se figurer qu’un instant dans sa vie elle pourrait être séparée de lui.

Quand on n’a pas d’amis à mon âge, lui disait Octave, un soir, peut-on espérer d’en acquérir encore ? Aime-t-on par projet ? Armance qui sentait ses larmes prêtes à la trahir, fut obligée de le quitter brusquement. Je vois, lui dit-elle, que ma tante veut me dire un mot.

Octave, appuyé contre la fenêtre, continua tout seul le cours de ses réflexions sombres. Il ne faut pas bouder le