Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/153

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sément entendu des voisins. Il vit avec délices que ses confidences, quelque minutieuses qu’elles fussent, n’étaient jamais à charge. Pour donner du courage à sa méfiance, Armance lui parlait aussi de ses chagrins, et il s’établit entre eux une intimité fort singulière.

L’amour le plus heureux a ses orages ; on peut même dire qu’il vit autant de ses terreurs que de ses félicités. Ni les orages, ni les inquiétudes ne troublèrent jamais l’amitié d’Armance et d’Octave. Il sentait qu’il n’avait aucun titre auprès de sa cousine ; il n’aurait pu se plaindre de rien.

Bien loin de s’exagérer la gravité de leurs relations, jamais ces âmes délicates ne s’étaient dit un mot à ce sujet ; le mot d’amitié même n’avait pas été prononcé entre elles depuis la confidence de mariage, faite auprès du tombeau d’Abailard. Comme, se voyant sans cesse, ils pouvaient se parler rarement sans être entendus, ils avaient toujours dans leurs courts moments de liberté tant de choses à s’apprendre, tant de faits à se communiquer rapidement, que toute vaine délicatesse était bannie de leurs discours.

Il faut convenir qu’Octave aurait difficilement pu trouver un sujet de plainte. Tous les sentiments que l’amour le plus exalté, le plus tendre, le plus pur, peut faire naître dans un cœur de femme, Armance les éprouvait pour lui. L’espoir de la mort, qui formait toute la perspective de cet amour, donnait même à son langage quelque chose de céleste et de résigné, tout à fait d’accord avec le caractère d’Octave.

Le bonheur tranquille et parfait dont le pénétrait la douce amitié d’Armance, fut si vivement senti par lui qu’il espéra changer de caractère.

Depuis qu’il avait fait la paix avec sa cousine, il n’était plus retombé dans des moments de désespoir tel que celui qui lui fit regretter de n’avoir pas été tué par la voiture qui débouchait au galop dans la rue de Bourbon. Il dit à sa mère :