Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/237

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était que plus à charge. Il n’avait pu que rarement essayer de se guérir de ce dégoût par la bienfaisance. S’il y fût parvenu, une ambition sans bornes l’eût précipité au milieu des hommes et dans les lieux où la gloire s’achète par les plus grands sacrifices.

À l’époque où nous sommes parvenus, Octave était loin de se promettre des destinées brillantes. Madame de Malivert avait eu le bon esprit de ne pas lui parler de l’avenir singulier que lui prédisait M. le prince de R*** ; ce n’était qu’avec Armance qu’elle osait se livrer au bonheur de discuter cette prédiction.

Armance avait l’art suprême d’éloigner de l’esprit d’Octave tous les chagrins que lui donnait le monde. Maintenant qu’il osait les lui avouer, elle était de plus en plus étonnée de ce singulier caractère. Il y avait encore des journées où il tirait les conséquences les plus noires des propos les plus indifférents. On parlait beaucoup de lui à Andilly : Vous éprouvez la conséquence immédiate de la célébrité, lui disait Armance ; on dit beaucoup de sottises sur votre compte. Voulez-vous qu’un sot, par cela seul qu’il a l’honneur de parler de vous, trouve des choses d’esprit ? L’épreuve était singulière pour un homme ombrageux.

Armance exigea qu’il lui fît une confidence entière et prompte de tous les mots offensants pour lui qu’il pourrait surprendre dans la société. Elle lui prouvait facilement qu’on n’avait pas songé à lui en les disant, ou qu’ils ne présentaient que ce degré de malveillance que tout le monde a avec tout le monde.

L’amour-propre d’Octave n’avait plus de secrets pour Armance, et ces deux jeunes cœurs étaient arrivés à cette confiance sans bornes qui fait peut-être le plus doux charme de l’amour. Ils ne pouvaient parler de rien au monde sans comparer secrètement le charme de leur confiance actuelle avec l’état de contrainte où ils se trouvaient quelques mois aupa-