Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/238

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ravant en parlant des mêmes choses. Et cette contrainte elle-même, dont le souvenir était si vif et malgré laquelle ils étaient déjà si heureux à cette époque, était une preuve de l’ancienneté et de la vivacité de leur amitié.

Le lendemain, en arrivant à Andilly, Octave n’était pas sans quelque espoir qu’Armance y viendrait ; il se dit malade et ne sortit pas du château. Peu de jours après, Armance arriva en effet avec madame de Bonnivet. Octave arrangea sa première sortie de manière qu’elle pût avoir lieu précisément à sept heures du matin. Armance le rencontra dans le jardin, et il la conduisit auprès d’un oranger placé sous les fenêtres de sa mère. Là, quelques mois auparavant, Armance, le cœur navré par les paroles étranges qu’il lui adressait, était tombée dans un évanouissement d’un moment. Elle reconnut cet arbre, elle sourit et s’appuya contre la caisse de l’oranger en fermant les yeux. À la pâleur près, elle était presque aussi belle que le jour où elle se trouva mal par amour pour lui. Octave sentit vivement la différence de position. Il reconnut cette petite croix de diamant qu’Armance avait reçue de Russie et qui était un vœu de sa mère. Elle était cachée ordinairement, elle parut par le mouvement que fit Armance. Octave eut un moment d’égarement ; il prit sa main comme le jour où elle s’était évanouie et ses lèvres osèrent effleurer sa joue. Armance se releva vivement et rougit beaucoup. Elle se reprocha amèrement ce badinage. Voulez-vous me déplaire ? lui dit-elle. Voulez-vous me forcer à ne sortir qu’avec une femme de chambre ?

Une brouillerie de quelques jours fut la suite de l’indiscrétion d’Octave. Mais entre deux êtres qui avaient l’un pour l’autre un attachement parfait, les sujets de querelle étaient rares : quelque démarche qu’Octave eût à faire, avant de songer si elle lui serait agréable à lui-même, il cherchait à deviner si Armance pourrait y voir une nouvelle preuve de son dévouement.