Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/270

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Le déjeuner fut silencieux et froid ; le seul être heureux était le commandeur. Frappé de cette absence simultanée des deux jeunes gens, il surprit des larmes d’inquiétude dans les yeux de sa sœur ; il eut un moment de joie. Il lui sembla que l’affaire du mariage n’allait plus aussi bien ; on en rompt de plus avancés, se dit-il à lui-même, et l’excès de sa préoccupation l’empêchait d’être aimable pour mesdames d’Aumale et de Bonnivet. L’arrivée du marquis qui venait de Paris malgré un ressentiment de goutte, et qui montra beaucoup d’humeur lorsqu’il ne vit pas Octave qu’il avait prévenu de son voyage, augmenta la joie du commandeur. Le moment est favorable, se dit-il, pour faire entendre le langage de la raison. À peine le déjeuner fini, mesdames d’Aumale et de Bonnivet remontèrent chez elles ; madame de Malivert passa dans la chambre d’Armance, et le commandeur fut animé, c’est-à-dire heureux, pendant cinq quarts d’heure qu’il employa à tâcher d’ébranler la résolution de son beau-frère relativement au mariage d’Octave.

Il y avait un grand fond de probité dans tout ce que répondait le vieux marquis. L’indemnité appartient à votre sœur, disait-il ; moi, je suis un gueux. C’est cette indemnité qui nous met à même de songer à un établissement pour Octave ; votre sœur désire plus que lui, je crois, ce mariage avec Armance, qui d’ailleurs ne manque pas de fortune ; en tout cela, je ne puis, en honnête homme, que donner des avis ; je ne saurais ici faire parler mon autorité ; j’aurais l’air de vouloir priver ma femme de la douceur de passer sa vie avec son amie intime.

Madame de Malivert avait trouvé Armance fort agitée, mais peu communicative. Pressée par l’amitié, Armance parla assez vaguement d’une petite querelle comme il s’en élève quelquefois entre les gens qui s’aiment le mieux. Je suis sûre qu’Octave a tort, dit madame de Malivert en se