Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/269

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agitaient ses lèvres. Armance, plus malheureuse que lui, s’appuya sur une caisse d’oranger ; elle tressaillit en reconnaissant cet oranger fatal auprès duquel elle s’était évanouie lorsque Octave lui parla durement après la nuit passée dans la forêt. Octave était arrêté droit devant elle comme frappé d’horreur et n’osant continuer. Ses yeux effrayés regardaient fixement devant lui comme s’il eût eu la vision d’un monstre.

Cher ami, lui dit Armance, j’étais plus malheureuse quand vous me parlâtes avec cruauté auprès de ce même oranger il y a plusieurs mois ; alors je doutais de votre amour. Que dis-je, reprit-elle avec passion ? ce jour fatal j’eus la certitude que vous ne m’aimiez pas. Ah ! mon ami, que je suis plus heureuse aujourd’hui !

L’accent de vérité avec lequel Armance prononça ces derniers mots, sembla diminuer la douleur aigre et méchante à laquelle Octave était en proie. Armance, oubliant sa retenue ordinaire, lui serrait la main avec passion et le pressait de parler ; la figure d’Armance se trouva un moment si près de celle d’Octave qu’il sentit la chaleur de sa respiration. Cette sensation l’attendrit ; parler lui devint facile.

Oui, chère amie, lui dit-il en la regardant enfin, je t’adore, tu ne doutes pas de mon amour ; mais quel est l’homme qui t’adore ? c’est un monstre.

À ces mots, l’attendrissement d’Octave sembla l’abandonner ; tout à coup il devint comme furieux, se dégagea des bras d’Armance qui essaya en vain de le retenir, et prit la fuite. Armance resta sans mouvement. Au même instant la cloche du déjeuner sonna. Plus morte que vive, elle n’eut besoin que de paraître devant madame de Malivert pour obtenir la permission de ne pas rester à table. Le domestique d’Octave vint dire bientôt après qu’une affaire venait d’obliger son maître à partir au galop pour Paris.