Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/273

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ce n’est que depuis cet instant que je suis guérie d’un vilain sentiment que moi aussi je n’osais presque vous avouer. Je me figure ce qu’il y a de pis. Ainsi il me semble que vous n’avez pas à me faire un aveu plus détaillé avant une certaine cérémonie. Vous ne m’aurez point trompée, je vous le déclare. Dieu pardonne au repentir, et je suis sûre que vous vous exagérez votre faute ; fût-elle aussi grave qu’elle puisse l’être, moi qui ai vu vos anxiétés, je vous pardonne. Vous me ferez une entière confidence d’ici à un an, peut-être alors je vous inspirerai moins de crainte… Je ne puis pas cependant vous promettre de vous aimer davantage. »

Plusieurs lettres écrites de ce ton d’angélique bonté avaient presque déterminé Octave à confier par écrit à son amie le secret qu’il lui devait ; mais la honte, l’embarras d’écrire une telle lettre le retenaient encore.

Il alla à Paris consulter M. Dolier, ce parent qui lui avait servi de témoin. Il savait que M. Dolier avait beaucoup d’honneur, un sens fort droit et point assez d’esprit pour composer avec le devoir ou se faire des illusions. Octave lui demanda s’il devait absolument confier à mademoiselle de Zohiloff un secret fatal, qu’il n’eût pas hésité à avouer avant son mariage au père ou au tuteur d’Armance. Il alla jusqu’à montrer à M. Dolier la partie de la lettre d’Armance citée plus haut.

Vous ne pouvez vous dispenser de parler, lui répondit ce brave officier, ceci est de devoir étroit. Vous ne pouvez vous prévaloir de la générosité de mademoiselle de Zohiloff. Il serait indigne de vous de tromper qui que ce soit, et il serait encore plus au-dessous du noble Octave de tromper une pauvre orpheline qui n’a peut-être que lui pour ami parmi tous les hommes de la famille.

Octave s’était dit toutes ces choses mille fois, mais elles prirent une force toute nouvelle en passant par la bouche d’un homme honnête et ferme.