Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/274

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Octave crut entendre la voix du destin.

Il prit congé de M. Dolier en se jurant d’écrire la lettre fatale dans le premier café qu’il rencontrerait à sa main droite en sortant de chez son parent ; il tint parole. Il écrivit une lettre de dix lignes et y mit l’adresse de mademoiselle de Zohiloff au château de *** près Andilly.

En sortant du café, il chercha des yeux une boîte aux lettres, le hasard voulut qu’il n’en vît pas. Bientôt un reste de ce sentiment pénible qui le portait à retarder un tel aveu le plus possible, vint lui persuader qu’une lettre de cette importance ne devait pas être confiée à la poste, qu’il était mieux de la placer lui-même dans la caisse d’oranger du jardin d’Andilly. Octave n’eut pas l’esprit de reconnaître dans l’idée de ce retard une dernière illusion d’une passion à peine vaincue.

L’essentiel, dans sa position, était de ne pas céder d’un pas à la répugnance que les conseils sévères de M. Dolier venaient de l’aider à surmonter. Il monta à cheval pour porter sa lettre à Andilly.

Depuis la matinée où le commandeur avait eu le soupçon de quelque mésintelligence entre les amants, la légèreté naturelle de son caractère avait fait place à un désir de nuire assez constant.

Il avait pris pour confident le chevalier de Bonnivet. Tout le temps que le commandeur employait naguère à rêver à des spéculations de Bourse et à écrire des chiffres dans un carnet, il le consacrait maintenant à chercher les moyens de rompre le mariage de son neveu.

Ses projets d’abord n’étaient pas fort raisonnables ; le chevalier de Bonnivet régularisa ses moyens d’attaque. Il lui suggéra de faire suivre Armance, et au moyen de quelques louis, le commandeur fit des espions de tous les domestiques de la maison. On lui dit qu’Octave et Armance s’écrivaient et ca-