Page:Stendhal - Armance, Lévy, 1877.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

société de son oncle le commandeur, et cependant tout le monde croyait à la maison qu’il aimait par-dessus tout faire la partie d’échecs de M. de Soubirane, ou aller avec lui flâner sur le boulevard. Ce mot était du commandeur, qui, malgré ses soixante ans, avait autant de prétentions pour le moins qu’en 1789 ; seulement la fatuité du raisonnement et de la profondeur avait remplacé les affectations de la jeunesse qui ont du moins pour excuse les grâces et la gaieté. Cet exemple d’une dissimulation aussi facile effrayait madame de Malivert. J’ai questionné mon fils sur le plaisir qu’il trouve à vivre avec son oncle, et il m’a répondu par la vérité ; mais, se disait-elle, qui sait si quelque étrange dessein ne se cache pas au fond de cette âme singulière ? Et si jamais je ne l’interroge à ce sujet, jamais de lui-même il n’aura l’idée de m’en parler. Je suis une simple femme, se disait madame de Malivert, éclairée uniquement sur quelques petits devoirs à ma portée. Comment oserais-je me croire faite pour donner des conseils à un être aussi fort et aussi singulier ? Je n’ai point pour le consulter d’ami doué d’une raison assez supérieure ; d’ailleurs, puis-je trahir la confiance d’Octave ; ne lui ai-je pas promis un secret absolu ?

Après que ces tristes pensées l’eurent agitée jusqu’au jour, madame de Malivert conclut, comme de coutume, qu’elle devait employer toute l’influence qu’elle avait sur son fils pour l’engager à aller beaucoup chez madame la marquise de Bonnivet. C’était son amie intime et sa cousine, femme de la plus haute considération, et dont le salon réunissait souvent ce qu’il y a de plus distingué dans la bonne compagnie. Mon métier à moi, se disait Mine de Malivert, c’est de faire la cour aux gens de mérite que je vois chez madame de Bonnivet, afin de savoir ce qu’ils pensent d’Octave. On allait chercher dans ce salon le plaisir d’être de la société de madame de Bonnivet, et l’appui de son mari, courtisan ha-