Page:Stendhal - Collection des plus belles pages, 1908.djvu/507

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

doi- se célébrer avec une certaine cérémonie, car il y a là quelque chose de solennel.

Ne fût-ce qu’un repas, une association de pensées régulière, il faut quelque chose. Ce quelque chose, c’est que demande Elpénor : ce n’est pas seulement un peu de terre qu’il réclame, c’est un souvenir.

J’écris les pages suivantes pour suppléer à ce que nous ne fîmes point aux funérailles de B. Je veux partager avec quelques-uns de ses amis mes impressions et mes souvenirs.

B, original en toutes choses, ce qui est un vrai mérite à cette époque de monnaies effacées, se piquait de libéralisme, et était au fond de l’âme un aristocrate achevé. Il ne pouvait souffrir les sots ; il avait pour les gens qui l’ennuyaient une haine furieuse, et de sa vie il n’a pas su bien nettement distinguer un méchant d’un fâcheux. Il affichait un profond mépris pour le caractère français, et il était éloquent à faire ressortir tous les défauts dont on accuse, à tort sans doute, notre grande nation : légèreté, étourderie, inconséquence en paroles et en action.

Au fond, il avait à un haut degré ces mêmes défauts ; et pour ne parler que de l’étourderie, il écrivit un jour, de, à M. une lettre chiffrée, et lui transmit le chiffre sous la même enveloppe.

Toute sa vie il fut dominé par son imagination, et le fit rien que brusquement et d’enthousiasme.

Cependant il se piquait de n’agir jamais que conformément à la raison. “Il faut en tout se guider par la LO-GIQUE ”, disait-il en mettant un intervalle entre la première syllabe et le reste du mot. Mais il souffrait impatiemment que la logique des autres ne fût pas la sienne. D’ailleurs il ne discutait guère. Ceux qui ne le connaissaient pas attribuaient ù un excès d’orgueil ce qui n’était peut-être que respect pour les convictions les autres. — “ Vous êtes un chat ; je suis un rat ”, disait-il souvent pour terminer les discussions.

Un jour, nous voulûmes faire ensemble un drame.

Notre héros avait commis un crime, et était tourmenté le remords. “Pour se délivrer d’un remords, dit B., que faut-il faire ” — Il réfléchit un instant.

— “ Il faut fonder une école d’enseignement mutuel. ” Notre drame en resta là.

Il n’avait aucune idée religieuse, ou s’il en avait, il apportait un sentiment de colère et de rancune contre la Providence. “ Ce qui excuse Dieu, disait-il, c’est qu’il n’existe pas. ” Une fois, chez madame